mardi 19 juin 2018

19 juin


Ah oui, ils se lèvent tard. En plus ils vont au cinéma. Une vieille dame robinsonne sur la plage d’une station balnéaire l’hiver, et ne s’en trouve pas plus mal, dès lors qu’un chien lui renvoie son regard et qu’elle parvient à ordonner le peu de souvenirs qui lui restent. Dans la rue, un couple d’amis surgit, leur offre des cerises. La main de la femme, gardée tendue, tenant la barquette, paraît à Binh-Dû d’une générosité inouïe. Au supermarché, des courses sont effectuées sans rien voler, saumon, avocats. Les avocats se révèlent pourris mais la salade de la veille est fraîche encore. Les mots dépixellisés libèrent des ellipses.
Ils sont en retard. Ils rejoignent les autres à un mini-concert. Puis ils se séparent, Binh-Dû et son amie. Il y a de gros morceaux de bœuf sur le barbec'. Une assiette pour lui puisqu’il est là, ça se passe comme ça. De nouveaux prénoms, aussi des courgettes du jardin. Binh-Dû fait une dernière blague, il part à la cantonade. Depuis le pont routier on les distingue encore, la grande table au bord du fleuve. C’est l’heure des éphémères. Plus nombreux sur la route qu’il n’y a d’êtres humains sur la planète. Hécatombe sur le pare-brise, Binh-Dû s’arrête, pisse sur le parterre d’un monument à la guerre. Les étoiles veillent.

lundi 18 juin 2018

18 juin


On a beau dormir sur un matelas à mémoire de forme, on ne s’en souvient pas mieux de ses rêves. Binh-Dû s’en va au lac avec cinq amis dont quatre qu’il ne connaît pas. Trois garçons et trois filles, zéro couple, c’est facile. Au lac on se baigne et on crache des noyaux de cerise le plus loin possible. Binh-Dû juge l’eau trop jaune, le soleil pas assez chaud, et son nouveau ventre disgracieux, alors c’est tout juste s’il retire ses chaussures. L’une des filles reste sur la berge elle aussi, sans que personne n’y cherche motif. Elle se tait quand les autres parlent, de choses et d’autres. Sauf à un moment vers la fin ; Binh-Dû essaie de tendre l’oreille mais il est lui-même en pleine conversation avec l’un des garçons. Au garçon, Binh-Dû déclare : « L’attention sincère que tu portes aux autres, elle se voit, c’est de la pacification préventive ». Quoique cela témoigne, il y a des éclats de rire qui se perdent. Le soir, Binh-Dû et son amie se souviennent qu’il leur reste du travail à accomplir, c’est même la raison de sa venue ici. La bougie colle son fond de mèche à la table. C’était comme un dimanche à la campagne. Il est quatre heures du matin.

dimanche 17 juin 2018

17 juin

Binh-Dû n’obtempéra pas à la sonnerie matinale du réveil.
Il s’accorda une heure de sommeil supplémentaire.
Il avertit son amie qu’il arriverait vers treize heures plutôt qu’à midi comme prévu. Super, cela me laissera le temps de ranger un peu, lui répondit-elle. Binh-Dû se sentit dès lors en avance et alla consulter ses mails sur l’ordi.
Il prit du retard, ce faisant.
Et puis il ne trouvait plus son bermuda kaki.
À mi-chemin, il dut prévenir son amie que, la distance étant ce qu’elle était et non ce qu’il s’était approximativement imaginé, il arriverait à quatorze heures. Super, répondit-elle, comme ça je pourrai aussi prendre une douche.
Il arriva à quinze heures. Elle avait faim, lui aussi. Super ! se dirent-ils.
Il pensa qu'il avait de la chance d'avoir des amis exempts de tout reproche.

samedi 16 juin 2018

16 juin

Ayant tenté de se coucher suffisamment tôt pour dormir son content, Binh-Dû se réveilla avant midi et avant que l’alarme ne sonne, il prit un petit-déjeuner. Rallumant son téléphone portable, il y trouva un texto de l’amie supposée l’attendre dans la soirée, qui lui demandait s’il ne pourrait pas plutôt arriver le lendemain. Il en ressentit un fort soulagement, comme si un sursis lui était accordé. Comme si quitter son confort ordonné était une effroyable prise de risque. Comme si s’en aller vivre c’était mourir.
Il eut donc beaucoup de temps pour vivre lentement, et passa une bonne après-midi. Puis il commença à prendre du retard sur son nouveau planning qui prévoyait qu’il se couchât tôt, et qu’ainsi il pût dormir suffisamment avant de se lever de bonne heure le lendemain. Comme la vie est compliquée, méditait-il, allongé bien parallèle dans son lit, attendant le sommeil. Las, et pourtant il ne lui restait plus rien d’autre à faire pour se mettre en avance. Peut-être se tourner sur le côté et compter ses vertèbres ?

vendredi 15 juin 2018

15 juin


Est-il correct de transpirer autant ? s’inquiète Binh-Dû, bien que les gens autour de lui ne paraissent pas s’en offusquer. Ils sont plongés dans leur monde intérieur, dénué d’odeurs. Binh-Dû aimerait bien faire comme eux, mais son métabolisme puissant souhaite s’exprimer. Eh, oh, j’existe ! Je suis biologique ! J’ingère, j’exsude, je fais mon beurre, j’huile mes mécanismes organiques, de moi émanent des phéromones pour qui voudrait les capter au passage. Mon coefficient de séduction déborde la politesse du quant-à-soi, ça te dirait de co-métaboliser ?
Son ex-amoureuse amie lui dit quelque chose qu’il interprète à la sauce rilkienne, Binh-Dû serait terriblement séduisant. Une constatation souhaitée et appelée de toute la force de son angélisme (celui de Binh-Dû), qui rejoignait à merveille le charme exhalé (celui de l’amie). Il serait également terriblement attachant, et là bizarrement Binh-Dû voit apparaître une vieille poêle dans laquelle ne plus ambitionner de réussir une omelette, quelque quantité de beurre qu’on y mette à fondre. Mais séduisant, pourquoi pas ? Les doigts glissent sur la peau.

jeudi 14 juin 2018

14 juin

Binh-Dû lutte contre les moustiques, les mauvais rêves, la chaleur, des douleurs imaginaires. Il ne comprend pas que des gens puissent faire vrombir des machines dès le matin. Ils n’ont pas d’oreilles ? Il ne comprend pas grand-chose de ce que la plupart des gens admettent comme normal, correct. Il aimerait pratiquer l’insolence mais cela ne lui vient pas, ou alors sous forme de rage sourde. L’insolence tue est-elle encore de l’insolence, la résistance passive est-elle un acte convaincant ? Binh-Dû se tient sur le départ, dans un entre-deux instable. Il se souvient d’attentes où il fut plus déterminé. Il se souvient d’autres fois où tout ce qu’il apprenait était une redécouverte, et même il souriait à l’idée qu’il allait l’oublier une fois de plus. L’amour non vécu est-il encore de l’amour ? L’amour non vécu est quelque chose qui passe, telle une saison maudite, à la fin l’on pleure des larmes amères (selon l’expression). Mais personne n’entend. Si Binh-Dû savait se faire entendre, alors il n’aurait pas besoin de dire avec tant de détours. Demain il bouclera son sac, et ce sera comme une protestation induite.

mercredi 13 juin 2018

13 juin

Le loup de compagnie a le ventre ouvert, il se meurt. Couché auprès de son maître maléfique, lequel devrait payer pour les crimes perpétrés et ceux occasionnés en retour. Binh-Dû s’approche, l’arme à la main. La rage au cœur. Tu ne pourras le tuer de la sorte, dit une voix. Binh-Dû avance encore, ouvre les bras et commence à se dissoudre en un sourire d’indulgence absolue ; son maître se dissout à sa suite mais en grimaçant, se tordant de souffrance. Ne reste plus qu’un amas de fourrure et de viscères dans le caniveau, le réverbère éclaire mal. Pour la cinq-cent-soixante-quinzième fois Binh-Dû traverse la cité dont les barres d’immeubles prédisposent à l’effacement. Un enfant sur son skate lui dit bonjour, puis une grosse dame assise sur un banc, aux deux il répond d’un sourire. Il ressemble un peu au jeune homme échevelé floqué sur son tee-shirt, aux airs de Méduse. Parfois on ne sait plus si l’illusion recouvre un monde (totalitaire) cartographié par des drones-lézards, ou un autre monde totalitaire en voie de contamination post-organique, ou le monde totalitaire où l’on marche et l’on rêve.