jeudi 21 juin 2018

21 juin

(Binh-Dû s’est fait remarquer toute une saison. Il est un peu las de son nom. Voyons si l’on peut s’en passer.)

       Un, les cumulus qui s’élèvent à la verticale dans le ciel, derrière la crête des montagnes. D’une blancheur immaculée, identique à celle des plaques de neige accrochées aux parois. Puis se délitent. Deux, les gouttes de pluie en soirée, qui soulèvent des cratères sur le chemin de sable, tant elles sont grosses ; tant elles tombent de haut. Trois, le moineau qui vient s’agripper au rebord de la vitre fermée côté passager. Pour un peu il toquerait du bec un message énigmatique.
       Reprenons : aux pylônes des télésièges offensant le regard succéda une croix plus ancienne, tout autant superflue. Mais à son pied on ne la voit plus. Un chien patou tint à gueuler haut son hostilité, je ne vais pas les bouffer, tes moutons ! Fut-il rétorqué. La pluie a attendu un moment de tranquillité sous l’abri d’un chalet pour s’abattre, le soleil brillait, cela a duré. Puis le moineau.
       (Mais la pluie n’est pas si mémorable, reléguée aux lisières si l’objectif est de retenir trois moments parmi l’abondance nouvelle – ah, quittées les villes ! –, deux aurait été le torrent traversé, si froid que les pieds d’une certaine façon sont encore dans le fond, parmi les cailloux plats.)

mercredi 20 juin 2018

20 juin

Un, le parfum du jasmin. Qui atténue la canicule à venir. Deux, le goût du pain. Nous sommes sauvés. Trois, une douche en douce.
Dans les montagnes il fait seulement chaud. Alors qu’en plaine on meurt.
La forêt escarpée incite à renoncer mais la vieillesse ne sera jamais d’actualité. Quand il était petit, Binh-Dû se persuadait qu’il ne mourrait jamais, quand il sera très âgé il découvrira qu’il avait eu raison. Il se trompait juste quant à la forme que prendrait son immortalité.
Pas âme qui vive au refuge de la cascade, mais une paire de tongs sur le seuil, des habits à sécher sur une corde tendue.
Peut-être vaudrait-il mieux mourir en compagnie que survivre seul.
Délivrer un ultime regard encourageant, dans des yeux apeurés, voilà qui serait sympathique. Beaucoup plus bas, là où la cascade s'est horizontalisée et ne laisse plus entendre qu'un murmure, Binh-Dû se couche près d'un bâtiment à ciel ouvert qui hébergera des poneys.

mardi 19 juin 2018

19 juin


Ah oui, ils se lèvent tard. En plus ils vont au cinéma. Une vieille dame robinsonne sur la plage d’une station balnéaire l’hiver, et ne s’en trouve pas plus mal, dès lors qu’un chien lui renvoie son regard et qu’elle parvient à ordonner le peu de souvenirs qui lui restent. Dans la rue, un couple d’amis surgit, leur offre des cerises. La main de la femme, gardée tendue, tenant la barquette, paraît à Binh-Dû d’une générosité inouïe. Au supermarché, des courses sont effectuées sans rien voler, saumon, avocats. Les avocats se révèlent pourris mais la salade de la veille est fraîche encore. Les mots dépixellisés libèrent des ellipses.
Ils sont en retard. Ils rejoignent les autres à un mini-concert. Puis ils se séparent, Binh-Dû et son amie. Il y a de gros morceaux de bœuf sur le barbec'. Une assiette pour lui puisqu’il est là, ça se passe comme ça. De nouveaux prénoms, aussi des courgettes du jardin. Binh-Dû fait une dernière blague, il part à la cantonade. Depuis le pont routier on les distingue encore, la grande table au bord du fleuve. C’est l’heure des éphémères. Plus nombreux sur la route qu’il n’y a d’êtres humains sur la planète. Hécatombe sur le pare-brise, Binh-Dû s’arrête, pisse sur le parterre d’un monument à la guerre. Les étoiles veillent.

lundi 18 juin 2018

18 juin


On a beau dormir sur un matelas à mémoire de forme, on ne s’en souvient pas mieux de ses rêves. Binh-Dû s’en va au lac avec cinq amis dont quatre qu’il ne connaît pas. Trois garçons et trois filles, zéro couple, c’est facile. Au lac on se baigne et on crache des noyaux de cerise le plus loin possible. Binh-Dû juge l’eau trop jaune, le soleil pas assez chaud, et son nouveau ventre disgracieux, alors c’est tout juste s’il retire ses chaussures. L’une des filles reste sur la berge elle aussi, sans que personne n’y cherche motif. Elle se tait quand les autres parlent, de choses et d’autres. Sauf à un moment vers la fin ; Binh-Dû essaie de tendre l’oreille mais il est lui-même en pleine conversation avec l’un des garçons. Au garçon, Binh-Dû déclare : « L’attention sincère que tu portes aux autres, elle se voit, c’est de la pacification préventive ». Quoique cela témoigne, il y a des éclats de rire qui se perdent. Le soir, Binh-Dû et son amie se souviennent qu’il leur reste du travail à accomplir, c’est même la raison de sa venue ici. La bougie colle son fond de mèche à la table. C’était comme un dimanche à la campagne. Il est quatre heures du matin.

dimanche 17 juin 2018

17 juin

Binh-Dû n’obtempéra pas à la sonnerie matinale du réveil.
Il s’accorda une heure de sommeil supplémentaire.
Il avertit son amie qu’il arriverait vers treize heures plutôt qu’à midi comme prévu. Super, cela me laissera le temps de ranger un peu, lui répondit-elle. Binh-Dû se sentit dès lors en avance et alla consulter ses mails sur l’ordi.
Il prit du retard, ce faisant.
Et puis il ne trouvait plus son bermuda kaki.
À mi-chemin, il dut prévenir son amie que, la distance étant ce qu’elle était et non ce qu’il s’était approximativement imaginé, il arriverait à quatorze heures. Super, répondit-elle, comme ça je pourrai aussi prendre une douche.
Il arriva à quinze heures. Elle avait faim, lui aussi. Super ! se dirent-ils.
Il pensa qu'il avait de la chance d'avoir des amis exempts de tout reproche.

samedi 16 juin 2018

16 juin

Ayant tenté de se coucher suffisamment tôt pour dormir son content, Binh-Dû se réveilla avant midi et avant que l’alarme ne sonne, il prit un petit-déjeuner. Rallumant son téléphone portable, il y trouva un texto de l’amie supposée l’attendre dans la soirée, qui lui demandait s’il ne pourrait pas plutôt arriver le lendemain. Il en ressentit un fort soulagement, comme si un sursis lui était accordé. Comme si quitter son confort ordonné était une effroyable prise de risque. Comme si s’en aller vivre c’était mourir.
Il eut donc beaucoup de temps pour vivre lentement, et passa une bonne après-midi. Puis il commença à prendre du retard sur son nouveau planning qui prévoyait qu’il se couchât tôt, et qu’ainsi il pût dormir suffisamment avant de se lever de bonne heure le lendemain. Comme la vie est compliquée, méditait-il, allongé bien parallèle dans son lit, attendant le sommeil. Las, et pourtant il ne lui restait plus rien d’autre à faire pour se mettre en avance. Peut-être se tourner sur le côté et compter ses vertèbres ?

vendredi 15 juin 2018

15 juin


Est-il correct de transpirer autant ? s’inquiète Binh-Dû, bien que les gens autour de lui ne paraissent pas s’en offusquer. Ils sont plongés dans leur monde intérieur, dénué d’odeurs. Binh-Dû aimerait bien faire comme eux, mais son métabolisme puissant souhaite s’exprimer. Eh, oh, j’existe ! Je suis biologique ! J’ingère, j’exsude, je fais mon beurre, j’huile mes mécanismes organiques, de moi émanent des phéromones pour qui voudrait les capter au passage. Mon coefficient de séduction déborde la politesse du quant-à-soi, ça te dirait de co-métaboliser ?
Son ex-amoureuse amie lui dit quelque chose qu’il interprète à la sauce rilkienne, Binh-Dû serait terriblement séduisant. Une constatation souhaitée et appelée de toute la force de son angélisme (celui de Binh-Dû), qui rejoignait à merveille le charme exhalé (celui de l’amie). Il serait également terriblement attachant, et là bizarrement Binh-Dû voit apparaître une vieille poêle dans laquelle ne plus ambitionner de réussir une omelette, quelque quantité de beurre qu’on y mette à fondre. Mais séduisant, pourquoi pas ? Les doigts glissent sur la peau.