dimanche 30 septembre 2018

30 septembre


Une "belle personne", une "chance", un "trésor"... Ainsi décrit-on Binh-Dû, au mieux, et ce ne sont que des mots fallacieux pour le sceptique. Souvent il se voit telle une piteuse allégorie de la misère, de la damnation et de l’inconsistance. Il ferait mieux de relever son visage penché sur les eaux troubles et de simplement remercier.
L’amour aussi pourrait être un enchantement. Comme de humer un parfum suave ou de déguster un fruit, poser la main sur le tronc d’un arbre, écouter le chant de l’oiseau, contempler les nuages. Ce catalogue élémentaire à destination des enfants, l’augmenter de la sensualité éprouvée à se reconnaître dans l’autre.
L’autre est celle que l’on trouve si belle que sa sincérité devient la nôtre. Du point de vue de Binh-Dû, renversé. Et l’amour est une loi de gratitude, qui ne laisse personne hors de son champ, pourvu qu’une réceptivité au moins persiste. Regarde ! Écoute ! Serais-tu aveugle ou sourd, on se débrouillera quand même.

samedi 29 septembre 2018

29 septembre

En automne les moustiques vrombissent au ralenti. Ou Binh-Dû est-il plus vif, son sang plus agile, entre deux rêves, pour qu’il parvienne à capturer l’intrus à l’aveuglette dans les replis de la couette ? Ensuite il roule sur lui-même comme au bas d’une tranchée pour écraser l’ennemi et répandre le pur et l’impur sur le drap du dessous.
Je subis un bombardement incessant d’idées, décrit l’amie de qui émane un rayonnement plus intense que celui du phosphore – et plus pacifique. Les soldats américains sont morts à proportion d’un pour trente-cinq Vietnamiens, et il faudrait encore distinguer les corps dans la mort ? Cette jeune femme est un miracle en soi.
Les temporalités tendent à se rejoindre ou à s’écarter, jamais à se maintenir. Même si le nombre de jours qui séparent une naissance d’une autre reste fixe au long de deux vies, il y entre une part d’inexplicable illusion. Un brouillage d’optique. Binh-Dû rêve de sa marraine, d’une amie de sa sœur aînée et d’une amante, un hélicoptère le réveille.

vendredi 28 septembre 2018

28 septembre

Dans la rame du métro, plus personne ne bouge de son propre chef. En revanche ça dodeline suivant les à-coups. Qu’est-ce que ça branle. (Question ? Affirmation !) La moitié des nuques penchées vers le giron où des doigts s’activent. Vibrations, flashs, images à agrandir, sons à se ficher dans le conduit auriculaire... À chacun son trip tubulaire. Chacun son martèlement volontaire – car des coups sont portés, les corps en portent la trace.
Ceux qui ne consultent pas leur prothèse ne paraissent pas vraiment en meilleure condition. Une femme au chignon amortisseur fait de mauvais rêves contre le vitrage. Un Africain épuisé contemple ses chaussures de sécurité. D’autres inspectent sans plus d’illusion leur reflet ou se carbonisent les doigts sur les pages d’un journal rempli d’assassinats, de catastrophes diverses et de bourrage de crâne.
Car quand cela ne cogne pas, cela s’insinue quand même. Les deux adolescentes en face de Binh-Dû s’aiment d’une amitié peut-être plus profonde que ne le seront jamais leurs futures vies de couple – où elles se perdront de vue. Binh-Dû lui-même assiste à l’élévation de son seuil d’intolérance. Bientôt il sera parfaitement convenu d’exister sans la réalité du ciel et des arbres. On jettera la clef et on se laissera glisser.

jeudi 27 septembre 2018

27 septembre


Binh-Dû marche si vite qu’il lui semble n’être pas du même temps que les autres habitants de son quartier. D’où sortent ces gens assis sur des bancs ? Ou qui attendent l’autobus ? Ou qui se disent des choses de part et d’autre d’une poussette ? Les enfants tout juste en âge de courir sont davantage du temps de Binh-Dû, il s’agit de les éviter.
Avec les plus vieux ou les plus petits ce n’est pas drôle. Trop facile. Les enfants tout juste en âge de courir courent souvent après un ballon et ils ne sont pas adroits de leurs pieds, ce qui permet à Binh-Dû de renvoyer la balle. Comme un adulte bienveillant. Il se souvient des heures glorieuses où il faisait des passes décisives, il était déjà plus âgé qu’eux.
Il marquait des buts aussi. Une fille au téléphone présente un profil kaki, c’est l’éclairage indirect du panneau publicitaire. Ou la vitesse qui distord le spectre. Au supermarché les armoires vrombissent. Binh-Dû jette l’appoint dans la bouche d’une caisse automatique, il doit recommencer l’opération car l’ordinateur est frustré de n’avoir pu lui indiquer la procédure.

mercredi 26 septembre 2018

26 septembre


La cruauté est un produit de notre empathie, et l’absence d’empathie n’est pas souhaitable non plus, raisonne Binh-Dû en pensant aux génocides. Il a de ces pensées sombres, il serait bien en peine de concevoir un manuel d’anti-guerre. Les capsules des paulownias pendent des branches comme des bombes en attente du moment de vérité ultime. Il y a encore des hommes pour aimer les pigeons, la plupart d’entre eux ne voient même plus le ciel derrière l’oiseau. Quant aux promesses d’amour, elles augurent plutôt d’un compagnonnage opportuniste.
Plus engageant est le rêve de l’amie chère, qui ne rêve bien entendu que pour elle mais en offre les fruits. Des peintures sont accrochées aux murs, Binh-Dû leur sourit, leur fait de l’œil, et ce ne sont pas tant les sujets qu’il honore que les œuvres en tant qu’objets. D’ailleurs ce n’est pas lui qui cligne, mais une femme inconnue. Pour cette femme, dans son rêve à lui, il marche sur les mains, il ignore où il dormira la nuit. Elle sera rentrée dans son pays, les cahiers de doléance seront fermés, vidée la halle d’exposition. Et l’on repartira à zéro ?

mardi 25 septembre 2018

25 septembre


Binh-Dû use des métaphores comme d’un tison dans le feu. La flambée est passée, il ne reste que des bûches largement consumées. On dirait des os rongés par le milieu, et ce serait même la métonymie d’un mâchage en règle, vorace. Par association, des centaines de souris cavaleraient au grenier, fuyant par le toit, leurs pattes produisant le staccato d’une averse impossible – à moins qu’il n’y ait plus de toit. Dans la pièce à vivre, tous lèveraient les yeux vers les poutres. Que fallait-il donc quitter ? Sommes-nous encore sur terre ou déjà en voyage, seuls au monde ? Et d’abord, combien sommes-nous, Binh-Dû n’est-il pas tout seul face à l’âtre ? Il se permet de faire durer le plaisir, ou la douleur qui est une facette voisine du plaisir. Dans la pièce d’à côté – s’il y en a une – son jumeau abruti  se morfond, il ne sait pas quoi faire de ses mains. Il a froid, tandis que Binh-Dû présente tantôt son profil gauche tantôt son profil droit à la chaleur qui émane des braises. Les flammes sont une lisière confiante. La paresse n’est pas loin, voire l’endormissement. Au bout de la pique remuent des souvenirs charnels, des galaxies infinies, cela pourrait se prolonger infiniment. Binh-Dû face à l’être est un homme qui préfère recourir aux visions aveuglantes.

lundi 24 septembre 2018

24 septembre


Retour à l’argile, une fois l’an. Au premier son poussé hors des poumons. Attention ! Comme s’il s’agissait aussi bien d’une prémonition – ce jour-ci sera inscrit sur ta pierre tombale. Rien ne presse. Le baiser de l’an passé éternue dans le courant d’air d’une porte claquée. Binh-Dû tremblerait à l’écoute de la voix aimée.
Si la porte claque c’est qu’il y a des fenêtres, et des murs pour tenir l’huisserie, un toit pour protéger des chutes, un sol nivelé pour se couper du feu des germinations. Il y a une prison qui s’ignore, sans verrous apparents. Faut-il être jeté dans le monde pour percevoir le confinement où l’on se croyait libre ?
Faut-il se jeter ? L’expérience consiste-t-elle à ouvrir péniblement des poupées gigognes ? Pire encore, se réduirait-elle à les garder encloses ? Alors, si le cycle ainsi perdure, on modèlera un cheval à la course durcie, on le posera sur le rebord de la cheminée, et on se laissera engloutir par les coussins d’un fauteuil à bascule.