Le premier jour du printemps, Binh-Dû glissait dans le sommeil quand il
ressentit au bas de son ventre l’amorce d'un saisissement. Comme
il dormait seul, il put aisément inviter auprès de lui, se nichant à la
perfection entre ses membres, contre son torse, l’aimée de son choix. Elle se
trouvait comme lui dans un demi-sommeil mais répondit, de tout l’amour qu’ils
se portaient mutuellement, à cet élan inopiné de tendresse, leurs hanches se
mirent en mouvement suivant un rythme lent et puissant qui évoquait à Binh-Dû
un bord de mer ensoleillé, une plage paisible rien que pour eux. L’enjeu était
de ne surtout pas hâter l’essoufflement du rêve.
Il aurait aimé que se poursuivent ad
libitum les retours du printemps, le déroulement du temps, sa vie dans un
corps qui ne vieillirait pas davantage – et pourquoi ne se mettrait-il pas à
rajeunir ? Il relut un dernier paragraphe qui racontait les premiers
instants d’un réveil, l’un de ceux où les yeux de l’amante attendent que vous
ouvriez les vôtres. Tant d’ouverture lui semblait faire une excellente fin.
Pour résumer, c’était l’histoire d’un homme qui se lève un matin et se rend
directement dans la salle de bains de l’appartement qu’il partage avec sa
compagne, lui s’appelle Jumien et elle Sylvelle, des prénoms peu courants mais
Binh-Dû, au fait, ça vient d’où ?
Pour résumer autrement, c’était l’histoire d’une femme qui se réveille
le matin et voit sortir de la salle de bains de l’appartement qu’elle partage
avec son compagnon... À la réflexion, Binh-Dû revenu au présent se dit qu’il est
peu judicieux de résumer un récit court, déjà qu’on ne tranche qu’une petite portion
de la dinde, si c’est pour n’en sélectionner que le sot-l’y-laisse comment
inciter quiconque à racler la carcasse ? Certes, la métaphore est inepte. Il
faudrait concevoir également l’inversion des attentes et des initiatives. Binh-Dû
envisage de devenir végétarien un jour, en attendant il s’applique à commander
du thé vert dans les établissements de boisson.
(Ça le choque toujours un peu qu’on dise « les cafés », de
même qu’il trouve étrange d’appeler « bureau » une pièce dont
l’ameublement central consiste en un bureau. Est-ce une complaisance de même
nature ? Cela mérite-t-il qu’on en pense quoi que ce soit un peu longtemps, disons
le temps de laisser refroidir le thé ?) Il raconte à la jeune femme assise
en face de lui un spectacle de théâtre auquel il a assisté quelques jours plus
tôt. Une portion de lui-même se détache alors pour s’élever avec les volutes
évanescentes de l’eau chaude infusée et surplomber un instant la situation –
faut-il tenter de résumer une pièce de théâtre ?
Heureusement ça ne dure pas. La jeune femme assise en face de Binh-Dû
est d’une beauté lumineuse, il s’en avise lorsqu’il se tait et qu’à son tour
elle lui raconte des choses bien plus intéressantes. Il le sait depuis des
années, que cette jeune femme est belle, et passionnante, et généreuse, il l’a
su tout de suite. Il sait aussi que sa jeunesse est la qualité la moins déterminante
de sa beauté, de cela il est confiant pour les décennies à venir, quand bien
même le printemps, de plus en plus précipité, en viendrait à sonner le 20 mars.
Il y a des gens comme ça. D’émotion, Binh-Dû renverse un peu de thé dans la
soucoupe.