La silhouette en manteau rouge se tient immobile sous la pluie. Entre
ciel et trottoir, c’est la nuit. À mieux y regarder, il n’y a pas de trottoir ni
de chaussée, c’est un sol de terre qui absorbe la pluie, qui parvient à
saturation. La fille a les pieds dans une flaque allant s’agrandissant, elle se
tient peut-être déjà sur un îlot d’où partent des rides concentriques. En fait
de manteau, il s’agit d’un imperméable, du genre poncho avec une capuche. La
fille porte aussi des cheveux longs qui pendent sur les côtés, détrempés. Elle
regarde Binh-Dû en face, les bras ballants. Telle une apparition. Elle ne
sourit pas, son expression est un peu triste, ou seulement perdue,
frigorifiée ?
Enfant, Binh-Dû grimpait dans la frondaison d’un magnolia. Il y restait
des heures, avec des crayons de couleur. Personne ne soupçonnait qu’il était
caché là, pensait-il, même sa mère qui prenait le soleil un peu plus loin ou
son père qui appelait parfois, raquette de ping-pong à la main, faisant
rebondir la petite balle blanche. Binh-Dû ne dessinait pas aussi bien que
l’amie à l’imperméable rouge qui romance en autoportrait sa solitude. Au bout
d’un moment il avait mal aux fesses, alors il changeait de fourche. Souvent il
cédait à l’appel de son père et courait le rejoindre dans le garage où était
dépliée la table verte.
Une danseuse balance ses bras de part et d’autre de son corps, du sol
jusqu’au ciel, et les étoiles se décrochent dans le mouvement en fond de scène,
comme emportées par l’air déplacé, et le ciel tout entier se met à danser en
une rotation cosmique infinie, dans son siège Binh-Dû s’envole à leur suite, il
n’est rien qui s’abstienne de filer, ni le temps, ni la joie, ni la tristesse, ni
la pluie au sortir du spectacle qui finira bien par fleurir le bitume.
(merci à Anaïs Blanchard)