Il y a moi,
il y a toi et il y a nous, pense Binh-Dû (il n’est pas le premier). Toujours un
élément d’incertitude dans la catégorisation, pourtant cela paraît simple comme
un schéma algébrique que même un enfant de maternelle serait en mesure de
comprendre. Sans doute les implications gagnent-elles en complexité avec l’âge,
Binh-Dû qui a plus de mille ans est de moins en moins convaincu d’être
lui-même, pour le dire autrement : l’existence de son « je » est
sujette à caution. (Qui paierait ?) « Tu » bénéficie de
davantage de stabilité, ou de latitude, du moment que le besoin de se
contorsionner dans l’autarcie d’une unique enveloppe charnelle est hors sujet.
En l’occurrence, Binh-Dû pense à une personne en particulier, qui serait une
autre personne dans d’autres circonstances mais là non plus n’est pas la
question. Cette personne, de sexe féminin, il la reconnaîtrait parmi des
milliards. Et quand bien même elle changerait, pour lui elle resterait celle à
qui s’adresse le « tu » virtuel de ses pensées présentes. Une
évidence. Reste à s’arranger avec le « nous », cette chose bâtarde,
cette hybridité de fortune, cette créature qui ne tient pas en place. Binh-Dû
serait pessimiste, il baisserait les bras. Il n’en a que deux, disons dix
doigts pour présenter mieux, oublions les orteils. Et la chose n’est pas une
console d’orgue aux multiples registres, Binh-Dû est-il optimiste ? Voilà,
encore un « je » qui se perd ! En plus de mille ans, il n’a
pas appris à jouer du piano mais – peut-être par une sorte de compensation hasardeuse
– il a peu à peu admis qu’on ne gagnait pas grand-chose à vouloir tout
contrôler de ce qui advient.