Il n’y a pas
que le cerisier qui s’empétale à vue d’œil, tous les arbres et arbustes se
hâtent de changer d’allure. Binh-Dû accélère lui aussi, bien que le
double-vitrage rende sa fenêtre opaque aux voisins lorsqu’il enfile son
pantalon. Au-dehors les parfums s’intensifient dans le souvenir du printemps
précédent, à chaque fois un étonnement : que la douceur revienne, et sa
suavité aux narines. À la campagne, cette sensation confinerait à l’ivresse. En
ville subsiste un malgré tout. Les diesels continuent à tuer mais, passant sous
un amandier, on croit inhaler un esprit de jouvence. Binh-Dû choisit ses
trottoirs en fonction de leurs frondaisons et du sens du vent. Il évite la
proximité du chantier d’une résidence tout confort, d’où s’échappe le souffle
délétère du béton froid. Il retient sa respiration au passage des sorties de
parkings souterrains. Il rebrousse chemin quand apparaît devant ses pas une
grille d’évacuation du métro. Au fond, il n’est pas si pressé. Une mésange bleue
lance un chant puissant depuis le jardin public qui gravit la butte vers les
hautes tours, tous les canaris en cage aux alentours doivent l’entendre.
Binh-Dû atteint sa voiture, il s’y enferme ; son pot crache un hoquet puant.