Non qu’il ne se passe rien quand il semblerait que rien n’arrive. Il y
a une infinité de grains de poussière qui volettent dans un seul rayon de soleil
oblique sur le parquet. Binh-Dû serait-il mort que l’infinité ne s’en
trouverait pas réduite d’un iota. Et chacune de ces choses qui passent et se
passent est susceptible d’être décrite, la question n’est pas là. La question
est dans le choix de dire ou de se taire.
Binh-Dû ne cesse d’échapper depuis qu’il est tout petit à un cocasse
accident de circulation, où il serait renversé par une voiture tandis qu’il
regarderait marcher une fille dans la rue. Cette fois encore, il s’est repris à
temps, rejoignant in extremis le
trottoir. En se déportant discrètement sur le côté, il décide que le profil
droit de l’ingénue qui marche devant lui n’aurait pas justifié qu’il en mourût.
Assise de biais en face de lui dans ce café, c’est la première fois que
Binh-Dû la voit mais il lui semble reconnaître celle qu’elle était trente
ans plus tôt et qui lui aurait inévitablement brisé le cœur dans une délicieuse
douleur. Le regard paraît-il reste le même du bébé jusqu’au vieillard, si l’on
n’en gâche pas l’intelligence. Cette femme ne cessera pas d’inspirer de
l’amour. Il la contemple raisonnablement.