Binh-Dû n’aurait pas prêté attention à la jeune femme au demeurant fort
jolie qui s’était arrêtée sur le trottoir si celle-ci n’avait attiré
l’attention de sa fille sur la pie qui jacassait dans l’arbre. Il
n’aurait remarqué ni la pie ni la mère ni la fille. Il était perdu dans ses
pensées, il se demandait s’il lui fallait prendre à droite ou à gauche dans le
labyrinthe d’allées obliques. Il laissait flotter l’hypothèse de croiser par
coïncidence une amie travaillant dans l’une des tours de bureaux avoisinantes,
et qui serait sortie fumer une cigarette. Il prévoyait de traverser le parc où
les jonquilles déjà seraient fanées, où de nouvelles fleurs auraient éclos.
Dans le parc, Binh-Dû prit faiblement conscience des fleurs. Il pensa à
la pie qu’il n’avait vue que parce que la jeune femme l’avait vue, laquelle ne
l’avait vue que parce qu’elle réapprenait à voir grâce aux yeux de
sa fille. Il se demanda à quelle distance du monde parfois, malgré lui, il se
retirait. Perdu dans des pensées oiseuses n’incluant ni fleurs, ni oiseaux ni
petites filles et leur mère, ou des considérations d’intendance. Peut-être
aurait-il fallu que cette enfant fût la sienne, qu’elle concentrât un intérêt
subjectif supérieur à n’importe quoi d'autre – même à une pie jacasseuse – pour qu'il se souvienne de percevoir avant que de penser.