Chaque
fois qu’elle était venue voir ses parents à la cour, on y donnait des
représentations théâtrales. Des gens étaient sur scène et jouaient la comédie,
mais elle avait tout de suite compris que ce n’était pas vrai et que la
simulation elle-même n’était qu’un masque, car ce n’était pas le théâtre qui
était factice, non, tout le reste n’était que simagrées, déguisements et fioritures,
tout ce qui n’était pas du théâtre
était factice. Sur scène, les gens étaient eux-mêmes, parfaitement vrais,
entièrement transparents.
Dans
la vie réelle, personne ne récitait de monologue. Chacun gardait ses pensées
pour lui, on ne pouvait pas lire un visage, chacun traînait le poids mort de
ses secrets. Personne ne se tenait seul dans sa chambre en évoquant à voix
haute ses désirs et ses craintes mais, quand Burbage le faisait sur scène, avec
sa voix grinçante, ses doigts très fins à hauteur des yeux, il ne semblait pas
naturel que tout le monde dissimule sans cesse ce qu’il ressentait. Et les mots
qu’il employait ! Des mots riches, rares, chatoyants comme des étoffes
précieuses – des phrases si parfaitement assemblées qu’on n’aurait jamais pu les
assembler ainsi. Voilà le but, tel était le message du théâtre, voilà comment
tu devrais parler, te tenir, ressentir les choses, voilà comment ce serait
d’être vrai.
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L’artiste
ne se contente pas de présenter un miroir à la société. Si le monde est cupide,
l’artiste doit être généreux. Si la guerre et la haine règnent, il doit être
pacifique et aimant. Si le monde est fou, il doit proposer l’équilibre ;
et si le monde devient vide, il doit l’emplir de son âme.
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(…)
surgir sur la scène. Non s’y ruer ni s’y précipiter en sauve-qui-peut. Y
pénétrer comme si c’était la chose la plus naturelle au monde, comme si l’on ne
se souciait en aucun cas d’établir une distinction entre l’ombre rassurante des
coulisses d’où l’on vient de s’arracher et cet espace conditionné où nous
sommes obligés de nous rendre, tout simplement parce que c’est l’instant de
notre entrée. Et si l’on prend le parti de surmonter cette frayeur irraisonnée
pour mettre pied dans l’inconnu, ce n’est certes pas pour y trouver refuge,
mais bien davantage pour y fuir le confort conventionnel d’une vie régulière et
acclimatée à son entourage et à la société de ses semblables, mais pour y
gagner un temps qui n’est pas fissible, qu’on ne saurait mettre en partage que
dans ces instants où il est joué-vécu sur la scène du théâtre comme il est
vécu-rêvé dans la salle par la multitude des spectateurs, chacun étant
singulièrement happé et extrait de sa vie quotidienne pour entrer de plain-pied
dans cette surréalité retrouvée.
José
Eduardo Agualusa (in La reine Ginga - et comment les Africains ont inventé le monde)
& Russel
Chatham (cité par Rick
Bass in Sur la route et en cuisine)
& Denis
Lavant (in Échappées belles)