lundi 25 octobre 2021

Le concept de liberté commence à la lasser

(4/n) 

Elle fête son anniversaire en toute discrétion. Ses parents lui téléphonent, et Rémi est au courant, bien sûr, ainsi que quelques amis plus ou moins perdus de vue dont certains ont oublié. Il y a un amant sentimental qui n’en finit pas de ne pas oublier, chaque année depuis dix ans un mail qu’on croirait d’excuse, pourtant non dépourvu de point d’exclamations, comme s’il tenait à la prendre en faute – eh oui, c’est encore moi, tu croyais que j’oublierais, tu pensais que je n’étais pas sérieux quand je jurais que je t’aimerais toujours ? –, à la réflexion il y entre plus de reproche que d’excuse. Être né, ce n’est pas une si grande affaire, pense-t-elle, et ce n’est pas parce qu’on aime danser qu’on désire fêter son anniversaire.  

Oui, je voulais parler de Céline !

Rémi lui a offert… un cadeau précieux qu’elle gardera secret.

Tu es en arrêt maladie, le téléphone a sonné mais tu étais couché à moitié endormi, tu n’as pas pu décrocher à temps car tout le haut de ton corps était pris dans un étau de douleur à ne pas desserrer inconsidérément. Quelqu’un qui s’enquérait de toi, qui voulait prendre de tes nouvelles. Qui s’imaginait que tu dormais à minuit mais que tu étais réveillé à dix heures du matin.

Céline se demande si distinguer notion et concept est une manière bien pédagogique d’entamer un cours devant des élèves en manque de sommeil parmi lesquels seulement quatre ou cinq n’ont pas définitivement décidé que la philo était une perversion sadomasochiste. (Et elle devrait se considérer chanceuse du ratio d’intérêt que son cours suscite ; et elle veut croire que sur les cinq lycéen.ne.s qui l’écoutent, les deux garçons ne passent pas plutôt l’heure à la regarder.)

L’autonomie est une notion qui n’est même pas au programme, mais le concept de liberté, au bout de cinq années d’enseignement, commence à la lasser.

La veille en sortant du restaurant, Rémi et elle marchaient bras dessus bras dessous, un homme noir était affalé contre le mur, ivre, il éructait des phrases inintelligibles qui le faisaient rire. Plus tôt dans la journée, Céline faisait des courses, devant elle une dame souffrant de Parkinson tremblait tellement qu’on aurait voulu la dissuader d’acheter cette pâtisserie industrielle qui ne rentrerait pas dans son cabas. À ces deux occasions, Céline n’est pas intervenue.