18 août
Jour 11
Tu te réveilles à point pour un solide
petit-déjeuner, avant de serrer la poigne à cambouis d'un garagiste puis de
déjeuner avec un ex-rugbyman, en fin de journée après un dîner frugal tu
croiseras un chien que tu qualifieras d'imposant pour flatter ses maîtres. Les
moines ne tournent toujours pas de nouveau sur le chemin de ronde, on gare sa
voiture sous les tilleuls et on commande un volatile champignonné avec des
patates (double ration). Il y a là en plus de toi deux couples et deux enfants,
ça parle fort, à l'exception des enfants captés par leur smartphone. Rien ne se
dit de mémorable, tu es tenté de suivre les enfants après le dessert, qui vont
se percher sur un muret avec un frère et une sœur de la table d’à côté, Je peux
jouer avec vous ? dirais-tu. Mais non, tu restes convenablement ennuyeux.
D'ailleurs ils ne voudraient pas de toi, alors parlons encore de la disparité
du prix des hôtels en région parisienne, et de ce petit caviste ardéchois, et
de la difficulté de recruter des gens sérieux, et de souvenirs expurgés des
ambivalences tendues qui les caractérisaient à l'époque où ils furent vécus.
Les moines sur leur chemin regardaient-ils leurs pieds ou le paysage en
contrebas ? De retour dans la maison tu surprends un gecko aplati sur le tapis.
On le croirait mort ou en plastique ou pendentif tombé d'une boucle d'oreille.
Mais essaie de t'en saisir – aussi délicatement que possible – il détale se réfugier
à l'intérieur de l'enceinte posée sur le parquet. Tu attendras un jour une nuit
avant de mettre de la musique. Tu as manqué l'heure du ramassage des haricots,
qui se trouve être également celle de l'oiseau d'hier – à propos il s'agit d'un
guêpier. Tu crois l'entendre chanter mais c'est presque la nuit à présent, le
chien noir se découpe à peine sur le crépuscule. Les fillettes qui
l'accompagnent demandent à leur pépé Qu'est-ce qu'il a dit le monsieur ? Elles
ont cru que tu avais traité leur chien de gros, elles ont cru que tu étais un
monsieur. En as-tu l'air, vraiment ? Une chouette lance son doux appel
métronomique, qui n'a rien à voir avec le cri d'un hibou.
jeudi 18 juin 2020
mercredi 17 juin 2020
est-ce sénilité ou attraction sélène ?
17 août
10ème jour
Tu pleures encore, mais est-ce la sénilité, déjà ?
Ou un mouvement de lune, une attraction sélène ? L'effet d'un basculement du
diaphragme, d'un coup la place pour respirer, ressentir, éprouver la tendresse
en souffrance. C'est une femme qui l'inspire et transfigure, une fois de plus,
là est le courage. Les deuils affrontés, passés, en cours, à venir. C'est elle
et bien sûr ce n'est pas seulement elle – c'est un écho. Car un jour, pour toi
aussi, certaines couleurs seront révolues, il n'est jamais trop tôt pour se
préparer à ses propres résolutions. Vois où te ramènent tes rêves ! Et retourne
au jardin, les guêpes folâtrent au-dessus du puits. Tant qu'elles ne te piquent
pas tu diras qu'elles folâtrent. Mais tu ignores tout de ce qui les agite, nul
essaim ne s'accroche dans le poirier. La terre est sèche aux pieds des
fraisiers, le soleil trace une ombre oblique et frémissante, la bonne heure
pour arroser. En profite le lézard contre le mur. Pour les haricots
l'entreprise est plus basique – un tuyau verse dans une rigole, à ras bord,
puis dans la seconde. Mais pour les tomates mieux vaut une main experte – ni
trop ni trop peu, épargner les feuilles, se contorsionner entre les canisses.
Tu essaies de repérer un oiseau chamarré à contre-jour, espère ! Oui, tu
espères, il y a de la vie après la mort. La perpétuation de l'envie de courir.
Certains n'ont pas attendu longtemps pour rencontrer leur mission (d'autres ne
l'ont pas vue passer, d'autres encore se dispensent de tout conscientiser).
Dans la maison voisine on fête un anniversaire avec une scie. Ta fenêtre
ouverte apporte un peu d'air frais ainsi que des rires que tu écartes pour
plonger dans le prochain sommeil.
mardi 16 juin 2020
et les abeilles feraient miel de toute fleur
16 août
Et les abeilles feraient du miel de toutes les
fleurs d'une altitude moyenne et profuse. Le matin, tu en reprendrais dans le
pot, à la lame d'un couteau, pour en mettre sur ton pain. Le soleil ne taperait
qu'au-dehors, tu regarderais le ciel sans aucune peur depuis ton côté de la
fenêtre, et sur une antédiluvienne platine tu placerais le disque d'un
enregistrement des rhapsodies de Brahms. Il y aurait de l'eau aussi, puisée
dans le puits du jardin ou à une autre source claire. Un livre peut-être,
évoquant un monde en sursis mais qui fut beau jadis et qu'il t'est offert
d'arpenter tel un visiteur venu du futur. Quelle chance tu as, ne cesses-tu de
te répéter, les lapins bondissent dans les clairières, l'un d'eux bientôt
roussira dans la cocotte avec des rattes venues elles aussi du jardin. Ce droit
de prédation animale, tu le concèdes à ceux qui te nourrissent, sur tes jambes
une enfilade de piqûres d'insectes. À l'heure de la sieste tu te connectes avec
le vaisseau en circulation stationnaire dans l'espace. Comment allez-vous ? Ils
ne répondent pas, occupés à de plus vastes soucis. Mais toi, comment vas-tu ?
Un sourcier méditatif repositionnes tes organes de manière à ce qu'ils
n'empiètent pas les uns sur les autres ni ne se pressent trop contre les
barreaux de ta cage thoracique. Tu laisses faire, tu laisses agir, les yeux
clos sur l'azur de souvenirs anciens – tu n'étais même pas né. Un fou n'avait
pas encore eu l'idée du moteur à explosion. Sur les vignes une aura horizontale
accompagne ton retour à la maison, chacune des cellules de tes muscles réclame
de l'eau, encore de l'eau. Tout ton royaume connecté pour un verre d'eau ! Et
un fourmillement sous le diaphragme, le soir tombe de plus en plus vite. Tu
prêtes attention où tu poses le pied, près du banc de la lectrice - ta mère -
sur la falaise. Tu ramasses de petits cailloux oblongs, insoupçonnables de
former planète, et tu en bouches les trous de guêpe dans le sol. Un petit
garçon écrase les sauterelles rouges au moment où elles se posent, tu ne te
trouves rien de commun avec lui, tu le plains. La nuit, un rythme monolithique
traverse les collines, depuis le village où l'on jette les filles dans le canal
pour les repêcher, seins collant au chemisier. Tu fermes tes oreilles et rêves
d'ailleurs.
lundi 15 juin 2020
le son d'une bassine en plastique vide
15 août
8ème jour ?
Le son d'une bassine en
plastique vide tombant sur du carrelage, et tu pourrais te mettre à pleurer
aussi bien. Ou pire, ce serait pire, des pleurs sans joie, terrifiés, sangloter
à genoux sur le carrelage et savoir comme pour la première fois que les cœurs
cessent un jour de battre, à commencer (ou à finir) par le tien. Comme une
révélation. Qu'y faire ? Comment faire, sachant cela ? Pourquoi faire encore
quoi que ce soit ? Tu aurais oublié d'un coup tous tes autres savoirs.
Au contraire tu rêves :
tu es sur une plage face à la mer et peu à peu enfle une vague immense
éclipsant l'horizon, lointaine encore, assombrissant le ciel. Tu cours vers la
forêt, tu cours vers l'océan, tu cherches un rocher pour t'y abriter, tu
regardes, fasciné, la vague progresser, tu ris des choix dérisoires qui te sont
laissés. Tu vas être englouti et tu ris, tu es heureux, tu es ivre comme
l'autre jour dans la montagne, tu appelles l'eau de toutes les cellules de ton
corps.
Ici les tomates sont
légendaires. Elles viennent de Russie ou de Suisse, paraît-il, et pèsent le
poids du cœur d'un veau. On en a plein la bouche, de leurs arômes juteux, tu
n'as jamais rien mangé de pareil, n'était-ce pas le véritable fruit de l'arbre
de la connaissance ? Il en est de plus petites aussi, entortillées autour d'une
canisse, qu'on peut cueillir entre deux doigts et déguster tièdes dans le
jardin. Ici la terre et l'eau sont des bénédictions, les mûres aussi s'offrent
à profusion.
Et les figuiers
embaument. Quand le soir tombe, la chèvre, le bouc et leur petit interpellent
le promeneur, tenté de leur ouvrir la barrière. Dans ce monde il n'y aurait pas
de prédateur et les hommes et les animaux vivraient en totale intelligence et
disponibilité. Les guêpes fouisseuses ne piqueraient pas la lectrice assise sur
son banc, la religion aurait été définitivement supplantée par la spiritualité,
le ciel aurait retrouvé sa clarté d'antan et les chouettes berceraient ton
sommeil.
dimanche 14 juin 2020
tu te demandes pourquoi une telle émotivité
14 août
Septième jour
Du col d'Urine (le troisième jour) à la cascade de la pisse (le septième jour), tu auras fait l’équivalent de seize fois l'ascension et la descente de la Tour Eiffel. Mais quand bien même ce que tu préfères dans la montagne c'est toi (quatrième jour), la montagne te manquerait dans les escaliers de la Tour Eiffel. Les paysans alpestres des siècles passés, face à la rudesse de leurs conditions d'existence, devaient être confits de pénitence, ce qui expliquerait qu'un peu d'irrévérence scatologique leur ait tenu lieu d'humour. L'eau abondante chutée d'une anfractuosité de la falaise alimente un canal où tu te laves les mains, si limpide. L'ivresse te gagne, si rapide. Si léger, aujourd'hui tu jeûneras pour mieux apprécier encore les odeurs de pin. C'est le dernier jour de ton séjour ici-haut et ton corps s'est tellement affûté qu'il serait capable de battre le record d'ascension de la Tour Eiffel. Mais tu ne rentres pas à Paris, tu mesures la solennité de la dernière descente par un sentier escarpé, ta voiture est garée à côté de l'église du village. Tu vas repartir dans une plaine du Sud, un peu en-dessous du parallèle qui te mènerait à New York. Ce n'est pas encore la fin. Reste une centaine de mètres quand ton téléphone à peine rallumé t'annonce un message. Dans l'église tu es proche de pleurer sous la lumière des vitraux. Sortie de l'autoradio, "Superstition" de Stevie Wonder te brouille la vue. C'est ta mère qui t'attend dans la plaine, une dame âgée traverse au passage piétons et ça y est, des larmes coulent face au soleil couchant. Tu te demandes pourquoi une telle sensibilité et soudain tu comprends qu'avant d'entrer dans l'église tu as écouté sur le répondeur la voix de cette amie si chère à ton cœur, que son cœur – ah, le cœur de ton amie... – émeut profondément le tien, que c'est une chance inouïe de la connaître, elle si vivante, si immortelle dans la beauté du monde.
Septième jour
Du col d'Urine (le troisième jour) à la cascade de la pisse (le septième jour), tu auras fait l’équivalent de seize fois l'ascension et la descente de la Tour Eiffel. Mais quand bien même ce que tu préfères dans la montagne c'est toi (quatrième jour), la montagne te manquerait dans les escaliers de la Tour Eiffel. Les paysans alpestres des siècles passés, face à la rudesse de leurs conditions d'existence, devaient être confits de pénitence, ce qui expliquerait qu'un peu d'irrévérence scatologique leur ait tenu lieu d'humour. L'eau abondante chutée d'une anfractuosité de la falaise alimente un canal où tu te laves les mains, si limpide. L'ivresse te gagne, si rapide. Si léger, aujourd'hui tu jeûneras pour mieux apprécier encore les odeurs de pin. C'est le dernier jour de ton séjour ici-haut et ton corps s'est tellement affûté qu'il serait capable de battre le record d'ascension de la Tour Eiffel. Mais tu ne rentres pas à Paris, tu mesures la solennité de la dernière descente par un sentier escarpé, ta voiture est garée à côté de l'église du village. Tu vas repartir dans une plaine du Sud, un peu en-dessous du parallèle qui te mènerait à New York. Ce n'est pas encore la fin. Reste une centaine de mètres quand ton téléphone à peine rallumé t'annonce un message. Dans l'église tu es proche de pleurer sous la lumière des vitraux. Sortie de l'autoradio, "Superstition" de Stevie Wonder te brouille la vue. C'est ta mère qui t'attend dans la plaine, une dame âgée traverse au passage piétons et ça y est, des larmes coulent face au soleil couchant. Tu te demandes pourquoi une telle sensibilité et soudain tu comprends qu'avant d'entrer dans l'église tu as écouté sur le répondeur la voix de cette amie si chère à ton cœur, que son cœur – ah, le cœur de ton amie... – émeut profondément le tien, que c'est une chance inouïe de la connaître, elle si vivante, si immortelle dans la beauté du monde.
Inscription à :
Articles (Atom)