jeudi 22 juillet 2021
Rhizomiques #76
jeudi 15 juillet 2021
Rhizomiques #75
jeudi 8 juillet 2021
Rhizomiques #74
jeudi 1 juillet 2021
Rhizomiques #73
mercredi 23 juin 2021
le soleil joue avec ton ombre
19 juillet 2020
On ne joue jamais seul. Même en solitaire, même en patience, même au hasard. Il y a toujours un sentiment d’altérité, fût-elle fantasmatique.
Cette fois-ci, pour ton dernier jour, tu t’offres le grand tour. La montée abrupte le matin, à flanc de cascade, les quelques randonneurs essoufflés tu les dépasses en courant.
(Tu n’imagines pas être à l’avenir – quel avenir ? – moins bondissant, plus fatigué encore que tu ne l’étais à ton arrivée, et devoir lever les yeux vers ton ancien toi.)
Le premier refuge, tu le snobes, ne veux rien voir, rien entendre, tu continues ta course dans le vallon, traverse le torrent, grimpe encore jusqu’au prochain plateau.
Là tu t’arrêtes, tu bois de l’eau. Tu t’imprègnes par toutes les cellules de ton corps de ce spectacle caché, ce cirque inaltérable de montagnes.
Puis tu continues, c’est de plus en plus beau, cela ne saurait s’altérer de mémoire d’homme, tu te raccroches à cette pensée. Tu surplombes un lac.
Le refuge au bord du lac tu n’en veux pas non plus, il y a moyen de longer une ligne de crête, dans les éboulis. Tu penses aux amies, tu leur raconteras.
Tu penses à un livre que tu écriras – tu t’arrêtes pour prendre des notes. Tu repars, te souvenant de respirer au rythme de l’ici et du maintenant.
À l’approche d’un nouveau col tu penses à ceux qui sont morts, tu imagines qu’ils t’aiment encore. Les fleurs abondent. Ici même, il y a plusieurs années, sous l’orage tu as prié.
Tu as demandé un surcroît d’existence – des choses utiles à faire. Voilà un jeune couple et leurs deux enfants, ils guettent les bouquetins, ils sont magnifiques.
Dans une autre vie cela se serait passé ainsi pour toi aussi. Les névés sont épais, cette fois tu as pris tes bâtons métalliques pour ne pas glisser.
Le troisième refuge te surprend, juste en devers du col, une serveuse masquée apporte des sodas à des corps avachis, huilés de soleil. Ils sont horribles, tu t’enfuis.
…
Il ne s’agit plus que de redescendre, tu ralentis. Tu n’es pas pressé. Une autre fois tu es rentré à la nuit, tu avais vu davantage d’animaux. Là ce sont surtout des marmottes.
Deux marmottons jouent à la bagarre, dévalant et remontant sans fin un talus. Tu t’approches pas à pas. Le jeu et l’autre, telle est l’évidence, tu médites un moment.
Le soleil couche ton ombre en arrière de toi. Une autre fois tu avais croisé un serpent. Cette nuit tu dormiras près de la cascade. Le lendemain tu t’en iras.
lundi 21 juin 2021
le poil misanthrope
18 juillet 2020
Les gens…
(L’issue logique de l’humanité est sa destruction. C’était fascinant cette aventure de l’intelligence, elle était merveilleuse cette planète, mais soyons raisonnables : il est temps d’arrêter le massacre. Qu’elle crève donc, l’humanité !)
Certes tu es sans doute un poil misanthrope…
Mais tu t’offres cinq jours de vacances annuelles pour ne plus les entendre... Tu pars dans les montagnes à près de 3000 mètres d’altitude… Au bout de trois jours cela commence à faire effet, tu es moins déprimé, un peu apaisé… Trois jours sans informations, sans échanges ineptes, sans trop de laideur dans les oreilles, les yeux, le nez… Ce troisième jour tu n’as croisé personne depuis des heures, tu descends d’un col, cherches un bon endroit pour faire une pause… Tu le choisis avec soin, des rochers plats au milieu des rhododendrons, le soleil dans le dos, devant toi un panorama magnifique… Le chant des oiseaux et des cascades…
Quand apparaît un homme sur le sentier en contrebas qui s’immobilise et te vole ta vue. Il attend, toi aussi – qu’il reparte. Il s'avise de ta présence, te demande s’il est sur le bon sentier (comme s’il y en avait d’autres). Il attend un couple qui le rejoint en ahanant. Ça y est, ils s’extasient. Manque encore une femme qui arrive avec une lenteur lamentable tout en parlant au téléphone à une amie restée en bas qui choisit des cartes postales. Ils se prennent en photo à présent, tu fermes les yeux pour qu’ils ne te demandent rien de plus. Enfin ils repartent. Ils n’ont pas fait vingt mètres qu’ils s’arrêtent à nouveau, deux randonneurs en sens inverse avec qui commenter le fait que c’est dur, c’est beau, il fait chaud. Et sont-ils sur le bon sentier ? Ils s’entendent bien, ils rient fort. Au bout de cinq minutes ils se disent au revoir, satisfaits chacun de soi et les uns des autres. L’un des deux randonneurs laisse son ami continuer, lui s’arrête pile au centre de ton panorama pour envoyer un texto. Il grommelle, ça capte mal. Ça dure encore cinq minutes. Puis il remballe son téléphone et sort sa bite pour pisser sur le talus. Eh, oh, il y a quelqu’un ! cries-tu absurdement – la goutte qui fait déborder le vase. Il sursaute, s’excuse – Je vous avais pas vu –, râle – Ça m’a coupé l’envie. Sans se presser il disparaît.
Les gens… Les gens, ils sont pas méchants. Ils font pas exprès. Ils te prêteraient leur téléphone, ils te donneraient de la super-glu pour recoller ton rétro cassé, ils te laisseraient prendre une douche chez eux… Ils votent peut-être Le Pen, ils sont comme tout le monde, ordinaires… Mais toi, quand sauras-tu sans en souffrir constater une fois de plus leur manque de sensibilité ? Tu le leur dirais ils se vexeraient, ne comprendraient pas, te traiteraient de Parisien, te frapperaient, voteraient encore plus tranquillement Le Pen ou Macron. Toi qui comprends si bien Diogène – Ôte-toi de mon soleil ! – comment sauras-tu jamais les tolérer ? Tu tentes de convoquer l’Amour et l’humour… Tu te dis que cela en fera une bien bonne à raconter à tes amis qui ne sont pas des "gens"… Tu te dis que le récit que tu es en train d’en faire vaut bien les vingt minutes de méditation contemplative qui t’ont été subtilisées... Tu te racontes que c’est justement une leçon de vie sur la tolérance et l’humilité, qu’il est juste que tu paies pour ton sentiment de supériorité…
Puis au soir, dans le village bitumé, tu vois une adolescente un peu boulotte descendre la rue en faisant rebondir un ballon de basket, maladroitement (il se loge sous une voiture garée) mais en souriant, pleine d’une énergie de jeu… Et l’humanité, tu l’aimes à nouveau, tu ne veux pas qu’elle s’anéantisse.
samedi 19 juin 2021
croisements d'interactions
17 juillet 2020
Tu es parti sur un sentier rectiligne, en diagonale sur l’adret. Il faisait déjà trop chaud sur tes coups de soleil mais tu espérais que la transpiration chasserait les visions de la nuit. Tu as dépassé un homme qui buvait à la pipette de son sac à dos poche à eau, assis sur le bord du chemin, C’est raide ! a-t-il dit, encore essoufflé, et tu as souri de son besoin d’interaction. Ta légère condescendance marquait une fierté de grimper plus vite que lui, ton propre besoin d’interaction. Arrivé au col tu as tourné le dos aux remontées mécaniques et à leurs hideux pylônes, ainsi seulement c’était beau.
L’après midi, au retour, soudain ta douleur au bras gauche t’a plié en deux (dans un mouvement vif pour chasser un insecte), cassant l’œuf de la veille : constat d’impuissance, extinction du désir, perte de la joie. Tu es reparti en convoquant d’autorité… la joie ? Est-ce possible, relancer ainsi le triangle vertueux ? Ensuite est venu le moment épique, à la descente, il te fallait des bâtons de marche sous peine de ne plus pouvoir mettre un pied devant l’autre, tu as brisé du bois en manquant te fracturer les os. L’assis du matin t’a dépassé, C’est raide aussi dans l’autre sens ! as-tu dit.