jeudi 16 janvier 2025

"Spontanément je ne suis pas sûr"

31 mai

    Les courriels c’est beaucoup de perception, de mots, de phrases, de pensées. J’ai le temps. Une amie qui a moins le temps, à qui je n’ai pas adressé récemment de courriel, m’envoie un texto avec une « pensée pour toi » exclamative. Je suis déstabilisé, entre Lune et Soleil, quel jour est-il, qu’est-ce qui se passe ? Que me vaut ? lui demandé-je en retour, et elle, dans une glorieuse concision, sans plus besoin d’exclamation, sans même d’émoticône, me renseigne : « l’amitié ».
    Un drôle de garçon discute sur un banc avec une drôle de fille, ils ont une vingtaine d’années, mon oreille traîne et j’entends le garçon dire à la fille : « Je ne sais pas… Spontanément je ne suis pas sûr d’être d’accord avec toi ». Spontanément je l’aurais mal pris, je me serais agacée. (Sans trop y réfléchir, je me verrais bien en fille vite agacée.) Il faudrait toujours applaudir en enfants, mon amie pense et danse intensément et sa joie est explosive.

mardi 14 janvier 2025

faire la grenouille

30 mai

    L’acupunctrice pique mes points sensibles. Je n’y comprends pas grand-chose, allongé sur sa table, sinon que je ferais mieux de me recaler sur les aspirations du Soleil et de la Lune. Paraît qu’il est déraisonnable de dormir à pas d’heure. Qu’ainsi on se dérègle, on a mal partout, on vieillit précocement et à la fin on meurt. Une perspective qui ne me plaît pas du tout, dans la salle d’attente  j’ai vu la photo d’un homme qui faisait la grenouille, tête en bas, suspendu à une corde à l’orée d’une caverne.
    Qu’y ont-elles compris, les chauves-souris, dormaient-elles en attendant la nuit ? Je sens que les aiguilles enfoncées dans ma peau dessinent comme un tracé cartographique superposé à mes nerfs plus ou moins sympathiques. De fait je m’apaise, à l’opposé d’un endormissement. Quand l’acupunctrice retire les aiguilles et que je me relève, la pièce est plus nette, je la découvre comme si je ne l'avais pas vraiment vue ; en nyctalope, comme si un accroissement perceptif m’avait été octroyé.

jeudi 9 janvier 2025

chasser la poussière

29 mai

    J’écris à des amies, c’est une chose que je fais, c’est ce qui se passe. Des courriels de rien, de peu ou de beaucoup. J’écris plus qu’on ne m’écrit mais c’est normal, c’est moi l’écrivain. C’est moi qui n’ai rien d’autre à faire, ou alors si, écrire pour moi. La distinction n’est pas si claire, lorsque j’écris à des amies c’est aussi pour moi que je le fais, et lorsque j’écris des textes qui ne sont pas courriels c’est souvent avec en tête la pensée de mes amies.
    Mieux vaut ça que d’avoir la tête auréolée d’un abat-jour boule. Je ne suis pas un saint. Mais je suis gentil. On me l’a dit par le passé, je n’appréciais pas, ça me rendait méchant. Méchant ça ne m’allait pas non plus, on me le reprochait – Je croyais que tu étais gentil. Les malentendus s’en donnent à cœur joie quand on ne sait pas trop qui on est. C’est ce pourquoi on écrit, afin de dissiper. De clarifier. De chasser la poussière avant qu’elle ne s’encroûte.
    Écrire c’est complexe, parfois il me semble que clarifier passe par l’ajout d’une strate supplémentaire de filtres entre soi et le réel. Aux autres, il semble alors que je ne leur écris pas vraiment, que je suis en conversation avec moi-même. Loin de moi pourtant cette intention. Je suis gentil et j’apprécie à présent qu’on m’en fasse crédit, comme d’une qualité singulière. Cela pique la baudruche de mes prétentions moins sympathiques, moins dignes d’être écrites.



mercredi 8 janvier 2025

à quoi sert l'abat-jour boule ?

28 mai

    Que se passe-t-il ensuite ? Un dimanche chez soi, à reprendre ses marques, assez peu intéressantes en comparaison. L’abat-jour boule du plafonnier est tombé, dispersant un tourbillon de poussière.
    L’abat-jour boule n’est pas tombé sur moi, j’étais de côté, occupé à tuer un moustique. Cela pourrait constituer une scène intéressante, dans un film, bien qu’un peu stéréotypée, le type avec son journal qui frappe dans le vide.
    Qui détruit un élément du décor tandis que le moustique, plus vif, ricane. Il y a aussi des araignées chez moi, je me dis que cela compense. J’espère qu’elles attrapent des moustiques et non seulement de la poussière.
    Leurs toiles, les miennes. L’abat-jour boule est tombé sur mon lit. Je ne m’éclaire jamais avec le plafonnier. L’abat-jour a pour fonction de cacher l’ampoule qui ne sert à rien. J’écris à une amie aux antipodes.

mardi 7 janvier 2025

Le ciel aussi est malhonnête

27 mai

    À l’aube, les oiseaux couvrent de leur chant le vrombissement du moustique. J’ouvre les yeux sur le paysage : c’est tristement laid. On dirait ce que c’est : une campagne irrespectée, une route sans caractère, des chantiers à plat, des bâtiments poussiéreux, des champs trop uniformes pour être honnêtes.

    Le ciel aussi est malhonnête, d’un bleu blanchi. Même l’étang où flottent des nénuphars semble une scène de crime, pas nette, même le sentier qui s’en va tout droit, bordé d’arbustes maigrichons, ne mène nulle part si ce n’est à un autre champ survitaminé et à un tas de gravats agricoles.
    Dans le taxi, ma chorégraphe est soucieuse, on prend du retard sur le périf. Mais on finit par arriver, je la retrouverai plus tard, au théâtre où elle dansera. Plus tard une amie me retrouve sur la place de la mairie, nous avons le temps de faire le tour d'un square anodin juste avant la représentation.
    Public bourgeois obéissant au rituel quand il faudrait n’applaudir qu’en enfants enthousiastes, les bras mal coordonnés, en sautant sur place tellement il y a de vigueur dans la joie. Ma danseuse-chorégraphe est un privilège généreux à qui sait regarder. Si le monde s’effondre, elle l’aura illuminé.

vendredi 3 janvier 2025

Une légère inflexion

 26 mai

    Le lendemain est une autre histoire, il suffit pour cela d’une légère inflexion des états d’âme au sein des corps. Il suffit d’ouvrir davantage le regard, de lâcher la bride aux pensées. De n’être pas d’accord parfois, emportés dans des mouvements imposés, et de signifier ce désaccord tout en accompagnant la fluidité des enchaînements.
    Il faut des mots pour habiter le silence de la danse, nous parlons. Nous cherchons, demandons confirmation, validons. Vers midi, une table est sortie au soleil, sur la dalle, vue sur le chantier où transpirent des ouvriers casqués. Les serviettes en papier s’envolent comme pour échapper à la poubelle jaune.
    Toujours cet étonnement de l’intelligence collective dans la création. Les solutions trouvées, les intuitions, les échanges. La beauté de tout cela. Nous serions bien en peine de manier un marteau-piqueur. Fin de journée, on danse encore, sur le sol de la cuisine. On joue aux cartes. Je m’applique à apprendre les règles, je perds ; c’est parfait.

jeudi 2 janvier 2025

C'est le printemps, tout de même

25 mai


   C’est le printemps, tout de même. Il y a du vert. Une gare parisienne où l’on arrive en avance, le matin, un square où dorment encore des exilés solitaires dans leur sac de couchage. Une dame promène un chat angora obèse.
    Le train traverse une ceinture urbaine épaissie d’année en année. Des champs taillés au carré entre deux zones industrielles. Au plafond, des diodes passent du bleu clair à l’orangé, en harmonie avec les teintes pastel des sièges. Personne.
    Le lieu de répétition était anciennement un corps de ferme. Des plaques de verre colorent le gravier. On laisse la porte ouverte, que pénètre la chaleur du soleil, que s’évacuent les particules virales. J’arrive après l’échauffement, les corps sont désireux.
    Ils dansent, ils sont jeunes, ils sont beaux. Je regarde, j’écoute, on parle. Il est question de danser, toute la journée. On avance, les tableaux se précisent ainsi que les intentions. Ces personnalités tellement incarnées, à découvrir.
    Le soir, nous allons voir un spectacle de cirque, tout s’y écroule. Passe et repasse un cheval blanc. On pleure, on rit. On évite d’écraser des lapins sur la route du retour. Nous avons, un jour de plus, survécu à l’effondrement en cours.