Sa stratégie est parodie de conscience. Lui est un autre,
naufragé. Il accoste dans un café cubain, un mégot branlant entre deux de ses
doigts. Il cherche un cendrier. Il regarde la carte où l’on propose un menu
réveillon à 95 euros. Il cherche un regard témoin, huit lycéens bruyants jouent
la comédie de la fière insouciance. Ils ne le calculent pas. Il a 67 ans,
tient-il à déclarer, et sa femme l’a quitté. Au couple sympathique de la table
d’à côté il emprunte un briquet pour allumer une nouvelle cigarette, il dit
« Vous êtes cohérents », puis « J’ai 67 ans, ma femme m’a
quitté » et il recommence à fumer. Les deux probables amoureux parlent de
pathologies mentales et du pouvoir du rire, assez sérieusement. Une bouteille
de rosé roule entre les pieds des lycéens qui peinent à se pencher depuis leur
chaise pour la ramasser. La nuit est jeune encore, à peine un début de soirée,
et l’année va mourir. Il y aura une remise à zéro sur le compteur et personne à
serrer dans ses bras. Il n’y aurait rien à faire si c’était d’un coup la fin du
monde, juste imploser en désolation infinie. L’homme d’une main tremblante écrase
sa cigarette dans le cendrier de la table des amoureux, il leur dit qu’ils sont
cohérents, qu’il a 67 ans et que sa femme l’a quitté. Il fait signe qu’on lui
tende le briquet afin qu’il puisse allumer une nouvelle cigarette. Sa cohérence
est peut-être de fumer sans feu. Les amoureux n’en sont pas, ils se séparent
sans même un baiser. La jeune femme transporte dans un sac transparent une
bûche de Noël qui commence à fondre. L’homme moins jeune n’entend pas la voix
intérieure qui lui rappellerait de vivre maintenant avant qu’il ne soit trop
tard. Jacasse une pie nocturne dont la cohérence non moins laisse à désirer.
dimanche 30 juin 2019
30 décembre
Ce qu’il
cherchait sans le trouver au centre commercial attend heureusement en d’autres
lieux. Le courage d’être prêt à ce que meure l’enfant demain pourvu qu’il vive
aujourd’hui. Qu’il ne meure pas vieillard en ayant renoncé sa vie durant à
vivre. Le courage de souffrir intensément face aux irrémédiables pertes,
sachant la valeur de ce qui nous relie, vivants.
Comme
une voix intérieure qui te dirait où tu es, qui te ferait entendre ce que tu
viens de faire et vers où tu te diriges.
Ou autre chose, non plus une rencontre mais un
mode, quasi musical : vais-je donner à pleurer ou prêter à rire ?
Ils ont
fait le choix, la plupart, de donner le moins possible. De ne pas même arpenter
le côté surplombant de la dette. Quand ils donnent c’est dans la crainte, ils
ont peur des coups de vent. Ou bien médit qui s’exclut ? Lui a beau jeu de
souhaiter « Bonnes fêtes » à la caissière. Son autre lieu l’attend
toujours, et l’enfant qu’il fut. Sa propre tragédie frise l’inconscience.
samedi 29 juin 2019
29 décembre
Il
cherche quelque chose dans le regard, il ne le trouve pas. Combien de ses concitoyens
sont-ils éteints ? Quelle proportion ? En quelle proportion sont-ils
éteints pour que rien ne se voie d’allumé dans leur regard ? Pas même un
souvenir de flamme…
L’âme
est aspirée par l’écran des smartphones, ce qui reste au-dehors n’est plus que
carcasse dépourvue de conscience. Ou l’on joue avec un chien dans le parc, l’on
bêtifie dans la nostalgie des réactions joyeuses provoquées chez un être simple.
Un enfant aussi bien.
Lui-même
cherche dans le miroir et trouve surtout que ses sourcils épaississent. Il n’y
voit pas très clair, ciseaux à la main, c’est d’appréhension qu’il cligne.
Sont-ce les cils, le problème ? Reprenant une plus juste distance il
détecte un subtil affaissement de paupière.
Lui-même,
en quelle proportion s’est-il éteint ? L’oiseau couvant son œuf, déjà
pressent l’horreur d’un manque. C’est ainsi qu’on tue son enfance, pour garder
l’illusion qu’elle se survit et qu’elle ne nous quittera pas. L’enfance muséale
étouffe pourtant dans son tombeau.
vendredi 28 juin 2019
28 décembre
Il irait
retrouver la perfection incarnée, jusqu’à l’esquisse de larmes d’émotion. Elle
semble si tendre, et si déterminée, si attentionnée et si intelligente, si
prompte à s’enflammer et si brûlante déjà. Si calme. Si compréhensive. Si
stimulante. Si ma main sur ta joue en une lente caresse, si ta respiration précipitée dans mon cou. Si… Mais est-elle bien réelle ?
Il se
heurterait à Némésis, la juste colère. Oh, ils seraient des alliés dont le
contact produirait des étincelles, ensemble ils renverseraient les tables des
banquets où se gobergent les crapules, et ils tiendraient en respect les loups
attirés par l’aubaine. Et puis ils s’en iraient, dansant d’un pas léger leurs
différences.
Il se
rapprocherait d’un loup semblable à nul autre, non plus à un chien. Le chien
serait une vieille histoire, celle de l’homme qui ne se croyait pas digne du
loup, jadis. Et le loup le mènerait à l’une des plus spirituelles femmes du
monde réel, et c’est lui, l’homme anciennement chien, qui pleurerait de bonheur
incrédule. Vas-tu te décider à croire ? demandera-t-elle.
jeudi 27 juin 2019
27 décembre
Si le
seul survivant ne peut plus compter sur l’arrimage de la pesanteur.
Si le
seul survivant a été réduit aux dimensions d’une sauterelle sans ailes.
Si le
seul survivant ouvre les volets, puis la fenêtre, et laisse entrer une lumière
apocalyptique ainsi qu’une volée de mouches.
Si le
seul survivant regarde en bas de la rue ce qui s’y passe et ce qui ne s’y passe
plus.
Si le
seul survivant a pour interlocutrice une amie perdue de vue.
Si le
seul survivant accapare tout le désir de reste et peu importe que ce soit ou ne
soit toujours pas suffisant.
Si le
seul survivant prend soin de cacher ses cheveux sous un bonnet.
Si le
seul survivant espère tantôt avoir moins chaud tantôt avoir moins froid.
Si le
seul survivant craint de lasser la survenue des rêves, et dès la première nuit craint
l’infidélité.
Alors…
Le seul
survivant ferait mieux.
De
changer de monde.
Inscription à :
Articles (Atom)