jeudi 6 juin 2019

Attentives #3

Je connais un endroit (...) où il est quelquefois possible de chanter en canon avec soi-même si l'idée nous en prend. Tiens-toi debout sur une pente boisée surplombant la petite rivière émeraude qui serpente en contrebas, et ta voix portera jusqu'à un majestueux amphithéâtre évidé dans la falaise de roches nues de l'autre côté du gouffre : "Rame, rame, rame doucement dans le courant..." - et au moment exact où tu entonnes "Joyeux, joyeusement", l'écho s'élance, "Rame, rame, rame...", parfaitement en mesure. On peut donc chanter en canon avec l'écho. Mais il faut prendre garde à bien choisir sa hauteur et son tempo ; impossible de changer de ton si l'on est parti trop aigu, ni de ralentir si le tempo est trop rapide... car l'écho est un maître inflexible : il faut chanter selon sa dictée, ce n'est certainement pas lui qui se pliera à ta voix. Et même après avoir laissé derrière toi ce phénomène acoustique mousseux (...), tu ne peux t'empêcher d'avoir la sensation, longtemps après, que la mélodie que tu sifflotes, l'hymne que tu fredonnes ou la chanson que tu entonnes s'harmonise avec un écho encore à venir, qui répercute un air oublié depuis la nuit des temps...

(Ken Kesey - "Et quelquefois j'ai comme une grande idée")