Vendredi 17 septembre, jour 7
Le chat bat de la queue dans le pot à crayons tandis que j'écris. C'est mélodieux, comme un carillon éolien ou un chant de tourterelles. En a-t-il conscience ? Le tapotis de mes doigts sur les touches du clavier est-il mélodieux à ses oreilles ?
Son miaulement est étranglé, j'ignore si c'est d'avoir été castré. J'ai la voix cassée moi aussi, prière de ne pas inférer.
J'ignore s'il vient s'asseoir sur la photocopieuse par amour de moi ou pour me convaincre de lui donner à manger – Mais ta gamelle est encore au quart pleine ! J'ignore s'il vient se coucher sur l'unité centrale de l'ordinateur parce que cela chauffe agréablement son ventre. J'ignore s'il vient taper quelques lettres sur le clavier parce qu'il a envie d'adresser un message au monde – et je suis insuffisamment chat pour comprendre ce qui s'affiche alors sur mon écran. À moi il adresse un message, certes, et je le grattouille sur le dessus de la tête comme on répond à côté.
Je suis parfois un autre tu.
Sur une table en verre, entre deux pots de fleurs, un petit BONHEUR en caoutchouc rouge a été posé. Mon cœur se serre, je suis trop tendre.
Tu es trop tendre, la météo prévoit de la pluie pour cet après-midi alors tu te dépêches de sortir. Loin sur la mer tu vois approcher une barrière de nuages gris, il est temps encore. Il est temps pour recevoir le vent en pleine face et pour filer le long d'une anse puis d'une autre, à tes pieds un tapis d'aiguilles de pins. Certains arbres retiennent la falaise, à en croire l'étendue de leurs racines apparentes. Ils semblent avoir mille ans – mais tu te méfies de trop de confiance. Là où tu te souviens d'avoir couru, à quatre ans, sous les encouragements de ta maman, une amie de Paris te téléphone. Tu lui racontes le paysage, en une anachronique trouée d'éternité. Quand tu avais quatre ans, le père de cette amie encore adolescent menait des chèvres sur les pâturages d'Anatolie. Ou de Mésopotamie, pour ce que tu en sais, une fois ouvert l'anachronisme on se retrouve très vite des milliers d'années en arrière, en territoire indistinct.
Tu reviens avec la pluie. Il était temps.
Tu reviens au chat qui t'attend et que tu nourris en lui dispensant des paroles aimantes qu'il ne comprend pas et dont il se fiche complètement.
À l'heure du coucher du soleil, tu vas vérifier : c'est annulé.
La nuit tombe néanmoins.