jeudi 1 décembre 2022

Tu ne t'en lasses pas, t'en lasseras-tu ?

                                                                                                 Jeudi 16 septembre, jour 6

Tu voulais dire quelque chose de peu important, que tu avais gardé en réserve, qu'était-ce ? L'as-tu noté quelque part, dans ton carnet, au dos d'un ticket de caisse, sur un emballage de gâteaux secs ?
Ah oui, c'est le nom d'un oiseau : l'huîtrier-pie. Qui cohabite pacifiquement avec les mouettes et les goélands.

Tu parles peu d’animaux ici, pourtant tu en rencontres beaucoup. Il y a des papillons magnifiques dont tu ignores le nom. Hier tu as vu un écureuil sauter d'un arbre à l'autre. Aujourd'hui, un faisan.
Quelle sorte d'homme est-on pour tirer sur un faisan ? Toi, tu es de la sorte qui avait besoin de faire pipi discrètement – d'accord, cette phrase ne veut rien dire. Si ce n'est que tu n'as pas l'âme d'un chasseur. S'il fallait que de tes propres mains tu tues pour te nourrir, tu choisirais de bouffer des pissenlits.
Tu parles peu des plantes, des arbres, des fruits. Pourtant il y a encore des mûres à cueillir aux bords des chemins. Il y a, outre les pins maritimes, des châtaigniers, des chênes et d'autres espèces que tu n'identifies pas. Ton amie ne t'a pas donné d'instructions pour arroser ses cactées.

Tu retournes sur les grandes plages du troisième jour.
Oui, car tu vas te répéter maintenant, à rayonner en demi-cercle côtier pour rentrer chaque soir nourrir le chat. Tu n'es pas en itinérance.
Tu élargis toutefois le périmètre, aujourd'hui d'un bord d'estuaire à un phare. C'est toujours aussi vaste, de la plage concave vers l'océan, et en remontant la pente jusqu'aux cieux grand ouverts. Tu ne t'en lasses pas, t'en lasseras-tu ? Finiras-tu par n'en plus rien dire, ainsi qu'à Paris tu ne racontes plus les monuments ? À Paris, dénaturé, mais ici la surnaturation te menace-t-elle ? Et tu n'aurais plus rien à dire, tel un animal.

Pour l'heure tu marches vers le point temporel focal du coucher de soleil. Chaque jour déjà tend à se réduire à ces quelques minutes d'enchantement. Qu'en sera-t-il cette fois ?
Tu as encore le temps de ramasser des cailloux avec tes orteils, de jouer avec les vagues, d'être éclaboussé par surprise. Une jeune femme est en communion avec son chien, un superbe colley. Elle lui prend la tête entre ses mains, lui parle, glisse délicatement une balle dans le ressac, qu'il récupère pour la lui rendre. Tu les regardes et c'est l'humanité de la scène qui t'émeut. [Savez-vous ? Cette solitude offerte... Cette combinaison bien particulière de joie et de tristesse... Une mélancolie projective. De l'amour brut.]

Le ciel quand le soleil se couche te transporte un peu moins que la fois précédente, tu ignores si c'est par affaiblissement de la nouveauté ou le fait d'une moins heureuse disposition des nuages. Mais tout de même ! Toutes les couleurs y sont, et des nimbes mystiques, les anges pourraient descendre sur le fil d'un rayon vert. Tu ne crois pas qu'il y ait rien de plus vrai que ce rêve cosmique.