L’usage de
ses poumons est encore pour Binh-Dû un gage de son individualité. Bien qu’il
maîtrise mal l’environnement où ils se gonflent, en deuxième lieu cette
atmosphère plus ou moins respirable qui nimbe la surface terrestre. En premier
lieu cet assemblage corporel dont la fonctionnalité lui semble se dégrader à la
mesure des temps. L’âge n’aide pas, ni la froide humidité. Pour autant Binh-Dû
n’a pas abdiqué devant la technologie, son rythme intime garde ses distances
avec tout ce qui pourrait sonner comme des bips. Même le chant des baleines il
n’y croit plus, et ce qu’il voit de ses yeux voit n’est jamais que surface
émergée. À la fin, la plupart des gens trouvent un certain réconfort à gratter
le tissu des draps du lit dont ils ne se relèveront pas. Tout ramener à une
quête de réconfort. Binh-Dû voudrait-il cesser de respirer à en mourir, il n’y
parviendrait pas, le souvenir de l’air serait trop pressant. Quoi d’autre le
retient avec une telle persistance – l’espérance bien sûr, pareillement tenace,
chaque acte visant avant tout à rassurer l’homme de peu de foi. Nous sommes tous identiques dans notre prétention au contrôle, nonobstant l’amour demeure une
belle aventure.
samedi 6 octobre 2018
vendredi 5 octobre 2018
5 octobre
Mais cesserez-vous bien de tousser ! Les rires, les applaudissements, les
bâillements, passe encore. Mais cette contagion-là, comme si l’humilité était
une faute de goût, comme si le théâtre n’était qu’un espace d’ostentation
personnelle, comme si la scène n’était que prétexte à la salle... Vous ne
voudriez pas quitter les lieux et vous en aller mourir, plutôt ?
On demande à Binh-Dû s’il s’aime et il entreprend de répondre
sérieusement, non mais oui quand même, ça dépend. (« On » n’est pas
n’importe qui.) Plus Binh-Dû s’énerve contre ses contemporains de race humaine,
moins il est enclin à se pardonner d’être des leurs. Identité qui n’est pas si
évidente d’ailleurs, tant il revêt souvent la peau de l’ours.
Qu’on leur donne de bonnes raisons de tousser, et à moi des coups de
bâton, ronchonnerait-il encore. Binh-Dû ces jours-là cesse d’être Binh-Dû mais
il se souvient de son nom, c’est sa voie de salvation. Il dormira plus
longtemps, il remontera plus loin dans les étoiles, il se secouera les grelots
et reviendra calmé, ses pouces formant cercle à chaque main.
jeudi 4 octobre 2018
4 octobre
Toute pièce dépourvue de fenêtre se propose en salle de torture. Grande
ou petite, obscure, éclairée au néon, quand bien même dispenserait-elle une
douce pénombre avec écharpes fines posées sur abat-jours, coussins moelleux, fragrances
ambrées, un chat angora ? Une odalisque à la peau d’albâtre ? La musique
pourrait caresser l’âme... Torture.
Les spectateurs s’installent dans leur fauteuil, félicitation implicite
et mutuelle. La scène est d’un noir profond, plastique, une bâche recouvre le
sol, sur les côtés des plantes vertes, des chaises pliantes, des chaussures. Bonne
compagnie, rires aux quatre coins raisonnables, silence en face où la folie menace,
mots qui fusent en parade désordonnée.
Ça commence. C’est fini. Sur le trottoir un parasol chauffant déborde
de la terrasse du café, Binh-Dû frissonne tandis que se faufile un cycliste casqué.
L’amie avec qui il se trouve lui raconte tout ce qu’il a manqué, les tableaux
émotionnels, le plaisir organique, les déploiements contemplatifs. Elle a
raison, c’était sûrement beau. Il rouvre à nouveau ses yeux vers l’extérieur.
mercredi 3 octobre 2018
3 octobre
Si le premier mot désigne celui qui parle, ce n’est pas seulement faute
de goût, manque de délicatesse, passion de soi-même... C’est aussi un
contresens. Binh-Dû est bien placé pour raisonner ainsi, lui qui se décrirait
comme flottant dans des vêtements trop amples qui ne lui appartiennent pas.
Mais à l’aise, il se pose un peu là.
Si le deuxième mot désigne une action, alors Binh-Dû commence à rire
dans sa barbe. (Sa barbe ne lui appartient pas non plus mais il en est très
satisfait, ne serait-ce que pour tirer sur son menton.) Il apprécie qu’on lui
raconte des histoires peuplées de personnages allant d’un point à un autre tout
en tournant sur eux-mêmes, à l’instar des planètes.
Le troisième mot est dépourvu d’humour intrinsèque – sauf si le
deuxième mot désigne un état. C’est le point de bifurcation pour Binh-Dû, soit
il retourne à son sourire de base, soit il rigole franchement. Sa bonne nature
est parfois agaçante, ses interlocuteurs ont l’impression de parler dans le
vide. Ils insistent un peu, puis, de guerre lasse, s’en vont chercher ailleurs.
mardi 2 octobre 2018
2 octobre
Ne sortez pas de chez vous à midi si c’est pour revenir avec une baguette
de pain dans un sachet transparent. Surtout si vous portez des lunettes et si
vous êtes vêtus d’un blouson étriqué. À la fin du repas vous vous sentirez
ballonné, vous aurez envie de vous allonger un moment, Binh-Dû sera
profondément peiné.
Tout en dormant il retire avec deux incisives une tige organique
enfoncée dans son doigt. À mi-parcours cela résiste, il doit insister, la plaie
s’écarte davantage. Enfin elle peut se refermer, il s’en trouve soulagé comme
après un accouchement. Au milieu du corps étranger la poche de venin ne s’est
pas rompue.
La pluie n’était pas non plus attendue et pourtant elle fouette les
épidermes. Tout devient plus petit depuis un tricycle Oui-Oui – quand je serai
grand j’aurai la voiture avec le klaxon qui fait pouêt. C’est le destin des
mondes que de flotter, mieux vaut s’y habituer très tôt, vous aurez l’œil plus
vif et vous pleurerez moins.
lundi 1 octobre 2018
1er octobre
On reniflera
nos culs dans la cage. On ne prêtera pas attention aux fusées qui éclatent dans
le ciel avant la nuit, on déclinera l’offre de l’ours en peluche. On se jettera
sur le bitume et on se relèvera avec sur nos pantalons la marque du crachin.
Les gens autour imagineront des tatouages bleus sur nos cuisses et nos jambes
et se demanderont jusqu’à quand la Terre nous portera. Ils renoueront leurs
lacets en prévision d’une course échevelée. Une cohorte de bras prendra son
envol en direction des océans. La peau frissonnera d’amour plutôt que de froid.
Les mots seront balbutiés de sorte qu'on ne dise jamais une seule chose à la fois mais
bien deux ou trois, pour le moins. Oui, sous la pluie nous pousserons des cris
d’animaux et les humains raisonneurs se retrouveront du mauvais côté des
barreaux. On se racontera des mensonges immémoriaux qui nous feront plaisir. On
évitera les bacs à sable que les enfants eux-mêmes dédaignent. On se déplacera
en glissant sous la lune, affranchis de toute mauvaise conscience. Le temps
cliquettera sa bonne heure. Il se fera tard. On aura appris de nos erreurs. Au
bout du décompte on exultera.
dimanche 30 septembre 2018
30 septembre
Une "belle personne", une "chance", un "trésor"... Ainsi décrit-on Binh-Dû, au mieux, et ce ne sont que des mots fallacieux pour le sceptique.
Souvent il se voit telle une piteuse allégorie de la misère, de la damnation et
de l’inconsistance. Il ferait mieux de relever son visage penché sur les eaux
troubles et de simplement remercier.
L’amour aussi pourrait être un enchantement. Comme de humer un parfum
suave ou de déguster un fruit, poser la main sur le tronc d’un arbre, écouter
le chant de l’oiseau, contempler les nuages. Ce catalogue élémentaire à
destination des enfants, l’augmenter de la sensualité éprouvée à se
reconnaître dans l’autre.
L’autre est celle que l’on trouve si belle que sa sincérité devient la
nôtre. Du point de vue de Binh-Dû, renversé. Et l’amour est une loi de
gratitude, qui ne laisse personne hors de son champ, pourvu qu’une réceptivité
au moins persiste. Regarde ! Écoute ! Serais-tu aveugle ou sourd, on
se débrouillera quand même.
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