Est-ce par lassitude que tu ne cèdes pas, pour une fois, à
l’évidence du crime ? Auparavant tu te croyais fort, mais le courage n’est
plus où il était. Tu cédais sans le savoir, et maintenant tu cèdes en le
sachant, et le sachant tu ne cèdes plus. Tu n’as plus l’envie de te précipiter
vers un éblouissant désastre, il est des rythmes plus lents que l’on ne
découvre qu’à condition de s’amenuiser aux dimensions d’un animal discret. Un
petit rongeur, un insecte, un oiseau qui ne chante que lorsqu’il se sent en
sécurité. Les enfants courent par deux à travers le parc, l’un devant, l’autre
à la peine. Les plus lourds sont lestés d’une mémoire de cheval, mais tous
savent comment faire. Suffit de se propulser vers l’avant. À sa fenêtre une
femme se retient, elle n’est pas sortie de chez elle depuis des jours. Elle ne
parle plus qu’en réponse. Plus jeune, au moins la nuit elle vivait. Elle ne se
souvient pas de la première fois où elle a pris, chez elle, appui sur les
meubles pour avancer, ainsi qu’on assure sa prise autour des barres en inox
dans une rame de métro. Cela tanguait. Et puis il y aura ce délicieux
decrescendo du cœur, la plongée vers l’ailleurs. Une poésie rédemptrice...
Hé ! Réveille-toi ! Regarde-moi !
lundi 11 novembre 2019
dimanche 10 novembre 2019
10 février
Tu sens monter l’éblouissement, il ne sert à rien de
résister. Il serait vain de grappiller encore quelques images, celles qui
seraient les dernières, qui s’inscriraient sur ta rétine une bonne fois pour
toutes comme une ultime photographie, un tableau achevé, une allégorie de tout
ce qui appartiendra – appartenait, appartient – définitivement au passé. Non,
arrête-toi, ferme les yeux, vois ton souvenir immédiat tel qu’il fut : une
rue pavillonnaire, des voitures garées, des arbres de bordure. Observe la
montée de la lumière, un point central au début, qui s’élargit aux dimensions
de ton cerveau, qui irradie d’une intensité solaire. Les couleurs varient selon
la pression de tes paupières sur les globes oculaires, c’est aussi parfaitement
indolore que si tu étais couché sur ton lit de mort. L’apex hésite entre deux
aventures opposées. Puis l’ombre revient, tel un nuage, une ambivalente
déception. Quand tu rouvres les yeux, la rue est toujours là, tu peux avancer.
Tout semble recouvert d’un pollen fleur de souffre. Et la question demeure,
tandis que tu regagnes un point de départ : cherches-tu des raisons pour
l’ailleurs ou des raisons pour ici ?
samedi 9 novembre 2019
9 février
Dans la ville personne ou presque ne pense plus aux fleurs,
ou alors comme à des objets utilitaires de moyenne qualité. Ces fleurs-là
poussent sur le pétrole. Les voitures-balais sont escortées par des soldats
marchant au pas, devant eux s’éloigne, désabusée, une rumeur non moins rythmée.
Les bris de glace scintillent sous l’averse et le soleil qui perce, comme
soustraits à la banque. Un chien dessine avec ses entrailles des arabesques sur
le macadam, d’une écriture coquelicot. Depuis les fenêtres des étages
supérieurs on rigole un peu nerveusement, et on se replie à l’intérieur quand
une caméra pivote. Derrière les palissades de chantier une grue se tient
immobile, elle défend les statues de grands hommes de pierre ébahis par leur
postérité. L’avenue, resserrée la veille encore par une toute neuve piste
cyclable, exhibe à présent ses pavés. Les gens avancent à contre-sens dans le
flux coordonné d’une foule, quelques rares oiseaux survivants observent l’agitation
avec attention. Mais toi tu n’as pas le temps. Tu cours au-devant de l’averse
afin qu’elle cingle plus fort ton visage. Tu tends aux assassins le bâton pour
se faire battre. Tu leur souris aimablement, ils te renseignent. Si perdus
semblaient-ils, tu repars avec tous tes doigts.
vendredi 8 novembre 2019
8 février
L’été dernier on prenait le vélo pour aller à la plage. Le
mec me dit « Je comprends, moi aussi j’ai travaillé dans la
restauration ». En ce moment je dors comme c’est pas permis. Ça paraît
loin mais en réalité c’est tout à fait faisable. Comme si ça lui donnait le
droit de me draguer, non mais tu imagines ? C’est genre neuf, dix heures
toutes les nuits. Oui mais tout de même vous en aviez pour combien de
temps ? Ils se croient tout permis les bâtards. Une nuit de neuf heures je
ne sais pas depuis quand cela ne m’est plus arrivé. Ça dépendait, parfois on
s’arrêtait en chemin. Donc le mec continue, il me dit « Et ça vous arrive
d’être payée en heures sup’ ? » Oui mais tu vois, là je sens que mon
corps en a besoin. Deux heures et demie à peu près. Mais est-ce que je lui
demande s’il lèche le cul de sa chienne ? Mon corps aussi, il en aurait
bien besoin, c’est juste que je ne peux pas avec tout ce que j’ai à faire
dans une journée ! Je crois que je n’aurais pas eu le courage. Tu aurais
dû ! Bien sûr, et comment ça se passe avec Lucas ? En même temps, la
piscine ça craint, surtout pendant les vacances. Bref, je le calcule plus, je
continue mon taf, à un moment je le vois qui se barre avec ses potes et il me
fait un clin d’œil. Toujours pareil, ce qui n’arrange rien. Tu devrais venir
nous voir. Je vais débarrasser sa table, et devine combien je trouve en
pourboire ? Ce n’est pas ton anniversaire, bientôt ? Je crois que je
vais rester ici. Quatre-vingt-cinq centimes d’euros. Ça tombe un lundi.
jeudi 7 novembre 2019
7 février
Un jour
tu seras tout entier dans tes yeux. Mieux, tu seras un regard. Tu seras ce vers
quoi ton regard te porte. Tu reviendras à tes yeux pour être l’espace entre ce
que tu regardes et toi. Ce jour-là, ce que tu regarderas sera le ciel. Mieux,
ce seront les nuages traversant le ciel. Ce sera ta vision du ciel traversé de
nuages et ce sera la traversée du ciel par les nuages. Tu ne penseras rien. Tu
attendras sans attendre le moment de passer à autre chose, tel un animal. Tu
seras émerveillé tel un homme. Tu pourras fermer les yeux et devenir tout
entier au-delà de toi-même.
Nul
besoin d’inscrire ton nom sur du ciment, du bois, une peau. Ou le nom de
quiconque. Tu ne guetteras pas le moindre signe d’approbation – qui pour un
animal équivaudrait à une menace. Tu ne chercheras pas consolation pour tes
blessures, tel un homme aux pieds tuméfiés par l’éteule. Tu ne traîneras plus ton corps lourd à la
poursuite de mots perdus, jadis reportés en caractères minuscules dans un carnet.
Tu seras à nouveau innommé. Et partant, depuis la confusion infinie du
mycorhize jusqu’aux élancements les plus avides, tu vivras l’étreinte du monde.
mercredi 6 novembre 2019
6 février
Et sur
le ciment frais d’un muret tassé de canicule s’inscrit à la pointe de l’index
un prénom familier. Pour qui ? Dans quelle intention ? Propice à
quelle interprétation ? L’index interpelé gratte un crâne perplexe à 16486
kilomètres de là.
Une
femme s’assied sans déranger d’aucune manière son voisin si ce n’est qu’elle le
remercie. Elle consulte son smartphone, soudain contrariée se relève, hésite, cherche
une autre place, inspecte le vague à son âme.
Que
vaudrait-il mieux crier à la face du monde, « Je t’aime ! » ou
« Tu m’aimes ! » Lequel des deux étonnements est-il de meilleur
augure ? Le chien trouve toujours quelques brins d’herbes folles à sucer.
Le piano ne sonnera qu’à la nuit tombée.
Toujours
une histoire d’arrêts et de déplacements. Toute destination est une affaire
privée, le plus souvent même un prétexte pour ne pas s’orienter aux étoiles,
aux ombres et aux parfums. Et coulissent les portes coulissantes.
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