Nous nous enfermâmes dans son bureau et elle
s’installa devant l’ordinateur, une espèce de téléviseur muni d’un clavier. (…)
Elle appuya sur le bouton d’allumage et inséra des rectangles noirs dans des
blocs gris. J’attendis, perplexe. De petits clignotants tressaillirent sur
l’écran. Elle commença à taper sur le clavier et j’en restai bouche bée. Rien
de comparable avec une machine à écrire, même électrique. Du bout des doigts,
elle caressait les touches grises, et l’écriture naissait sur l’écran en
silence, verte comme l’herbe sortant de terre. Ce qui se trouvait dans sa tête,
accroché je ne sais où dans son cortex cérébral, semblait se déverser à
l’extérieur comme par miracle, et se fixer sur le néant de l’écran. C’était de
la pure puissance qui, tout en passant par un geste, restait de la puissance,
un stimulus électrochimique qui se transformait instantanément en lumière.
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Dans les environs de Hiroshima, les survivants ont
décrit l’explosion comme une « première déflagration gigantesque, telle
une locomotive suivie par un long train bruyant qui passe à toute vapeur et
s’éloigne peu à peu jusqu’au murmure ». C’est faux. Ils ne font que
décrire les perceptions inexactes de l’oreille. Car cette première déflagration
gigantesque n’était que l’infime murmure initial d’une explosion qui
aujourd’hui encore nous submerge de son fracas, et continuera de nous submerger
à jamais…
Car il arrive souvent que la réverbération excède
par le silence le bruit qui la déclenche ; ou que la réaction surpasse par
la tranquillité l’événement qui l’a provoquée ; et il n’est pas rare que
le passé prenne un bout de temps à se produire, et un temps bien plus long
encore à se faire comprendre.
Elena Ferrante (L'enfant perdue)
& Ken kesey (Et quelquefois j'ai comme une grande idée)