26
février 2020
Les engins spatiaux se posent l’un après l’autre, telle une noria dépourvue de sens. En point fixe devant les portes coulissantes tu attends, comme tant d’autres fois déjà, à chaque ouverture la possibilité et l’espérance que ce soit elle mais non, ces gens sont trop bronzés, ils arrivent de La Réunion ou de Pointe-à-Pitre. Beaucoup de Blancs bronzés. Une expression au-delà de la fatigue sur le visage, dans le corps, quelque chose de blasé, comme s’ils ne venaient pas de traverser un océan, comme s’il n’y avait que des soucis qui les attendaient.
Enfin Lucia et son fils, ô comme ils sont uniques ! Ils n’ont pas dormi de la nuit, ils ont même gardé les yeux ouverts durant la descente, deux mille mètres de nuages épais. Ils ne râlent pas quand il s’agit de retrouver la voiture, garée à un emplacement jumeau de celui où elle ne se trouve pas. Ils se réjouissent même de voir tomber la pluie, leur première pluie depuis des mois puisqu’au Canada ne tombe que de la neige. Toi, tu regardes les gouttes prendre du volume et ralentir un peu leur chute, il se pourrait que cette pluie devienne ta première neige depuis un an.
On se recale tant bien que mal. Quelque chose se transforme en toi ou peine à se transformer, selon que tu étais ou non pleinement heureux à l’origine. Il te semble que tu flottes dans ta peau. Trop large, tu l’habites certes mais tu ne tiens pas en place, ainsi qu’on se retourne d’un côté sur l’autre en cherchant le sommeil. Deux hivers que tu n’as pas vu Lucia et son fils – lui-même d’ailleurs ne te reconnaît pas. Ou confusément. Tu la reconnais si précisément. Se pose à nouveau, sortie de l’absence, la question de la juste distance.