jeudi 4 février 2021

Rhizomiques #64

   Nous nagions ensemble plusieurs longueurs de bassin, quelque fois sous l’eau, en nous tenant par la main et en échangeant de petits baisers, et tu prenais garde à ne pas effleurer mes seins, ni à les regarder, même s’il n’y aurait pas eu d’opposition de ma part. Quand nous avions fini de nager, ton bras enlaçait légèrement ma taille et tu déposais un baiser sur ma joue (veillant à ce que personne ne regarde) en chuchotant ces mots : je vais sortir de l’eau.
   Je chuchotais alors en retour : OK, je vais juste nager une longueur de plus. 
  Et tu sortais de l’eau et moi, je nageais une longueur de plus, échappant à la gêne d’être au bord du bassin sous tes yeux.
   Il en fut toujours ainsi. Quand tu passais le bras autour de ma taille et posais un baiser sur ma joue, c’est que tu allais sortir de l’eau. Mais tu continuas de me le chuchoter à l’oreille, à tout hasard. Tu mettais le plus grand soin à faire tout bien, à ne jamais m’effaroucher, à ne jamais me faire sursauter, surtout pas en sortant du bassin sans préliminaires.
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Dans la rivière au fond du jardin nagent des truites, perpétuellement à contre-courant. Car si elles suivent le fil de l’eau, elles se noient. C’est comme ça, chez ce poisson-là. 
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Comment m’expliquer à moi-même aujourd’hui ce qui m’avait attirée en lui, sinon qu’il était dans une certaine mesure le contraire des hommes… de l’homme que je m’attendais à aimer. Devant ceux-là on est déjà en quelque sorte "programmée", on souhaite, on attend un enchaînement de situations, de dialogues qui font le rituel de la situation, tandis que devant lui ce fut justement ce dépourvu, cet inattendu, ce non-rêvé, qui me détournèrent vers un vide, un risque où je basculai d’un coup (corps et âme) fascinée, séduite, comme infiltrée par un sort auquel je ne pouvais résister : un mélange de tension retenue et de douceur, de sensualité, de fragilité, de force intérieure – mais sans autorité ni domination, quelque chose de sauvage et d’âpre, d’à part, par quoi je fus entraînée aveuglément.
 
Steinunn Sigurdardóttir (in Le Cheval Soleil)
& Margaret Drabble (in La Phalène
& Danièle Rezvani (in Le testament amoureux, de Serge Rezvani)