13 mai
C’est jour de relâche, les rues sont vides dans le centre-ville où tout est fermé comme en temps de confinement ordinaire. La synagogue semble aussi désaffectée que l’école des jeunes filles et le temple en réfection. Près d’un distributeur de billets, une femme en haillons a croisé ses béquilles sur le sol devant elle et se tient en prosternation, les mains jointes, il n’y a personne que toi sur la place pour la regarder. Sur les façades roses, des trompe-l’œil montrent des habitants qui se réjouissent à leur fenêtre. Leurs proportions sont maladroites et leur bon voisinage témoigne d’une époque improbable ou du moins révolue. Le réalisme est dans le vent sec.
Déjeuner affable et roboratif puis tu repars aux abords de la ville, longer ses canaux. On y voit des loutres et des canards et des poules d’eau. Dans le ciel planent des hérons. Il te semble que tu pourrais suivre le canal jusqu’aux montagnes lointaines et pénétrer dans un autre pays. (Mais il faut être rentré avant 19h.) Tu es en avance sur le couvre-feu, tu en profites pour te laisser guider par le parfum parme des paulownias, un peu ivre, t’égarant. De jeunes Albanais te demandent une cigarette, un vieil Algérien voudrait du feu. C’est la misère. Dans l’appartement il fait jour encore, les verrous sont tirés, mais le ciel lumineux poursuit sa course lente dans le velux.