- En quoi peut-on encore… t’aider ?
- Eh bien, pour les feuilles, dit Claus.
- Ferme-là ! dit Agneta.
- Il y a quelques mois, j’ai trouvé deux feuilles près du vieux chêne sur le champ de Jakob Brantner. En fait, ce n’est pas le champ de Brantner, il a toujours appartenu aux Loser, mais (…). Quoi qu’il en soit, ces deux feuilles étaient parfaitement identiques. (…) Chaque nervure, chaque fissure. Je les ai séchées, je peux vous les montrer. J’ai même acheté une loupe au marchand qui est venu au village, pour pouvoir mieux les regarder. Il vient pas souvent, le marchand, il s’appelle Hugo et (…). Donc, elles étaient là devant moi, ces deux feuilles, et d’un coup je me suis demandé si ça voudrait pas dire qu’elles ne font qu’une. Si la seule différence, c’est qu’une feuille se trouve à gauche et l’autre à droite, c’est réglé en un seul geste.
Il s’exécute d’un geste si maladroit qu’une cuillère vole d’un côté et une auge de l’autre.
- Imaginons que quelqu’un dise que ces deux feuilles n’en font qu’une, qu’est-ce qu’on pourrait bien lui répondre ? Il aurait raison !
Claus tape sur la table mais tous, sauf Agneta qui le regarde encore d’un air suppliant, suivent des yeux l’auge qui roule et décrit un cercle, puis un deuxième, avant de s’immobiliser.
- Ces deux feuilles, donc, dit Claus dans le silence. Si elles sont deux feuilles en apparence et n’en forment qu’une en réalité, cela ne veut-il pas dire que… que tout ici et là et là-bas n’est qu’un filet que Dieu a fabriqué pour que nous ne percions pas à jour ses secrets ?
- Il faut que tu te taises maintenant, dit Agneta.
- Il n’y a pas deux feuilles identiques dans la Création, dit le Dr Kircher. Il n’y a même pas deux grains de sable identiques. Pas deux choses entre lesquelles Dieu ne fasse pas de différence.
- Les feuilles sont en haut, je peux les montrer !
- Eh bien, pour les feuilles, dit Claus.
- Ferme-là ! dit Agneta.
- Il y a quelques mois, j’ai trouvé deux feuilles près du vieux chêne sur le champ de Jakob Brantner. En fait, ce n’est pas le champ de Brantner, il a toujours appartenu aux Loser, mais (…). Quoi qu’il en soit, ces deux feuilles étaient parfaitement identiques. (…) Chaque nervure, chaque fissure. Je les ai séchées, je peux vous les montrer. J’ai même acheté une loupe au marchand qui est venu au village, pour pouvoir mieux les regarder. Il vient pas souvent, le marchand, il s’appelle Hugo et (…). Donc, elles étaient là devant moi, ces deux feuilles, et d’un coup je me suis demandé si ça voudrait pas dire qu’elles ne font qu’une. Si la seule différence, c’est qu’une feuille se trouve à gauche et l’autre à droite, c’est réglé en un seul geste.
Il s’exécute d’un geste si maladroit qu’une cuillère vole d’un côté et une auge de l’autre.
- Imaginons que quelqu’un dise que ces deux feuilles n’en font qu’une, qu’est-ce qu’on pourrait bien lui répondre ? Il aurait raison !
Claus tape sur la table mais tous, sauf Agneta qui le regarde encore d’un air suppliant, suivent des yeux l’auge qui roule et décrit un cercle, puis un deuxième, avant de s’immobiliser.
- Ces deux feuilles, donc, dit Claus dans le silence. Si elles sont deux feuilles en apparence et n’en forment qu’une en réalité, cela ne veut-il pas dire que… que tout ici et là et là-bas n’est qu’un filet que Dieu a fabriqué pour que nous ne percions pas à jour ses secrets ?
- Il faut que tu te taises maintenant, dit Agneta.
- Il n’y a pas deux feuilles identiques dans la Création, dit le Dr Kircher. Il n’y a même pas deux grains de sable identiques. Pas deux choses entre lesquelles Dieu ne fasse pas de différence.
- Les feuilles sont en haut, je peux les montrer !
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- Il peut aussi exister des messages non linguistiques, dit Barnes.
- Par exemple ? demanda Bobby Tarrés.
Les exemples étaient nombreux et chacun de nous en avait au moins un en mémoire. Mais Colina Ross s’empressa de parler, comme si la réponse était aux aguets en lui, dans l’attente de l’instant de bondir.
- Une feuille d’arbre. Une feuille qui aurait un sens pour quelqu’un qui est préparé à la voir comme un signal, mais pas pour les autres.
- Une feuille d’arbre, répéta Barnes. Que pourrait signifier une feuille d’arbre ? Elle ne serait significative que s’il n’y avait pas d’autres feuilles autour, avec lesquelles elle risquerait d’être confondue. Elle n’aurait de sens que seule, ou singulière pour quelque raison.
Colina Ross ouvrit alors la bouche pour répondre, mais ne dit rien. Il y avait du trouble dans ses yeux : de la peur ou de la honte, les deux émotions les plus aptes à priver de parole celui qui les éprouve. Quelle était donc cette feuille qui l’avait rendu muet ?
- Par exemple ? demanda Bobby Tarrés.
Les exemples étaient nombreux et chacun de nous en avait au moins un en mémoire. Mais Colina Ross s’empressa de parler, comme si la réponse était aux aguets en lui, dans l’attente de l’instant de bondir.
- Une feuille d’arbre. Une feuille qui aurait un sens pour quelqu’un qui est préparé à la voir comme un signal, mais pas pour les autres.
- Une feuille d’arbre, répéta Barnes. Que pourrait signifier une feuille d’arbre ? Elle ne serait significative que s’il n’y avait pas d’autres feuilles autour, avec lesquelles elle risquerait d’être confondue. Elle n’aurait de sens que seule, ou singulière pour quelque raison.
Colina Ross ouvrit alors la bouche pour répondre, mais ne dit rien. Il y avait du trouble dans ses yeux : de la peur ou de la honte, les deux émotions les plus aptes à priver de parole celui qui les éprouve. Quelle était donc cette feuille qui l’avait rendu muet ?
Daniel Kehlmann (in Le roman de Tyll Ulespiègle)
& Pablo de Santis (in La fille du cryptographe)