lundi 21 septembre 2020

Narcissus contrariata

NARCISSUS CONTRARIATA


Jumien se réveilla chiffonné. Il bâilla, plissa ses yeux encore fermés, passa deux doigts à l’aveugle sur ses caroncules lacrymales pour en dégager la chassie, bâilla encore. Il s’assit sur le rebord du lit, tâcha d’enfiler sans les mains les pantoufles qu’il avait déposées sur la moquette avant de se coucher. Bizarrement son pied droit ne reconnaissait pas les courbes de... sa pantoufle gauche – il n’y avait donc rien de bizarre. Ou si ? Il se rendit dans la salle de bains, un peu titubant, mal assuré. Avait-il bu la veille ? Aucun souvenir de biture, ni d’embarras gastrique. Pas de teint jaunâtre dans le miroir, pour autant que l’éclairage soit fiable. Mais il y avait quelque chose qui clochait. Il se passa la main sur sa mâchoire, sentit le grattement de sa barbe de la nuit. Il se regarda mieux. Il avait un drôle d’air. Comme si son regard était affaissé vers la droite. Il ne se connaissait pas cette expression-là, il essaya de la corriger, en vain. Comme s’il présentait son mauvais profil – et le bon aurait disparu. Ou alors c’était un AVC, il avait fait une attaque en dormant et s’était coincé de petits muscles faciaux ?

Jumien s’aspergea le visage, c’était absurde, il allait parfaitement bien, il s’était simplement levé du mauvais pied. Il sourit à son image.

Sa bouche aussi était de travers. Car il n’avait pas toujours eu ce sourire de faux-cul, si ? Et il avait un nouveau grain de beauté, là, sur la joue gauche. À l’emplacement exact où se trouvait, sur sa joue droite, son vieux et familier grain de beauté... qui n’y était plus. C’était pourtant bien à droite, il n’était pas fou ! Jumien vérifia en portant sa main à sa joue, il sentit la légère excroissance et en même temps fut saisi d’effroi : car dans le miroir, c’était la main opposée qui s’était levée pour toucher l’autre joue.