Elle jeta un coup d’œil aux paniers de guirlandes à
deux sous et essaya d’y trouver une seule chose qui ne tomberait pas en
morceaux le temps d’arriver à la maison. Désespérant. Peut-être son père
avait-il eu de la chance de mourir jeune, sa fierté d’artisan intacte. Que
penserait-il de ce monde ? A bien y réfléchir, ce n’étaient probablement
pas des enfants esclaves, mais forcément des armées d’ouvriers dans les usines
qui fabriquaient ces choses à la va-vite, des gens sous-payés qui se tuaient à
les produire pour que des gens sous-payés les achètent et les usent jusqu’à la
corde, vivant leur vie essentiellement pour se rayer mutuellement de la carte.
Un piège à crève-la-faim à l’échelle mondiale. (…)
Son œil se posa sur une paire de jumelles vertes
en plastique sous film transparent, sur un support en carton de couleur vive.
« Fan-tas-tique ! » lisait-on. Explore, découvre, sois proche de
la nature, tout cela pour un dollar cinquante, bandoulière comprise. Fabriqué
en Chine. Elle tourna le paquet de côté pour essayer de voir au travers, et ne
réussit même pas à distinguer les articles posés dans son propre chariot. Une
qualité totalement prévisible pour un dollar cinquante. Il était si tentant
d’acheter un jouet horrible qu’on avait les moyens de payer juste parce que le
paquet disait « Explore la nature. » On pouvait faire comme si ça marchait
vraiment, et vos enfants la boucleraient et vous imiteraient. L’éducation dans
le rayon des défavorisés. ( …)
Finalement elle s’empara d’un raton laveur en
peluche fabriqué n’importe comment, qui n’avait même pas l’air d’un raton
laveur, et le jeta dans son chariot parce qu’il ne coûtait que un dollar. Elle
avait envie de casser la gueule à quelqu’un. Le monde vous rendait comme ça.