14 mai
Tu as rejoint l’équipe et tout le matériel disposé sur la
toile blanche du plateau, quatre cents sièges rouges rabattus attendent dans la
pénombre. La lumière est crue encore, mais les projecteurs sont en place. Vous
êtes neuf pour un solo. Il y a des reflets verts dans la chevelure de la
danseuse. Une impatience sereine. Un désir. Soixante kilogrammes de brisures de
riz vont être hissés à huit mètres du sol. Douze mille baguettes vont être
disposées en parallélépipède. Et un vibromasseur à deux vitesses sera fixé sur un entonnoir.
On y est presque, affaire de réglages. L’un de vous prononce le mot
« interloqué », et tu as soudain la conviction de n’avoir jamais
tracé tel assemblage de lettres, ni au stylo ni au clavier, peut-être même ne
t’es-tu jamais dit interloqué, n’as-tu jamais émis l’hypothèse que quiconque
fût interloqué. Il y a de la poésie dans cette lacune, voire ce manque
d’expérience. Personne non plus ne t’avait jamais fait la remarque qu’il avait
exactement dix ans de moins que toi, c’est étrange. On n’en tire aucune
conclusion ouverte ou fermée. Sauf à penser que dix ans ce n’est rien, dans un
sens comme dans l’autre cela passe, l’air de rien. Dans la rue tu ne sors pas
ton portefeuille pour donner cinquante centimes à un jeune homme fatigué au
regard franc, pourquoi ? Au café tu offres des bières hors de prix tout en
sirotant un soda bon marché, en une compensation ahurie.