dimanche 16 février 2020

vint l'instant de l'inéluctable baiser


16 mai
           Dans le train, debout, à bien s’entendre, vint l’instant de l’inéluctable baiser. Elle était la nouvelle amie de mon amie, c’était fatal. Joyeux. Évident. Arrivâmes en Chine où un marchand de sommeil menaça de me trancher le pouce, elle s’interposa bien sûr. Et nous fuîmes. Nous fuîmes la nuit par les rues animées du village. Puis de jour dans la campagne, dédaignant les fruits mûrs recouverts d’une douce peluche grise et les anciens lieux de bataille – là-bas, nous dit-on, derrière ces remparts en ruine, se trouve le trésor d’un empereur. Elle savait que ma grand-mère et moi entonnions « Hello Dolly » quand j’étais petit, elle voulait que je chante – je chantai. Elle riait. Elle aimait m’embrasser. Nous courions. Toute la vie nous nous aimerions.
           Et le soleil entra dans le théâtre. Repliées les lourdes tentures, ouvertes les hautes fenêtres. Tous les recoins visibles, les armatures, les coursives, et dans les interstices entre les fauteuils on trouve ce qui fut perdu des mois auparavant – un bonbon ? Au plateau, dans la lumière quadrillée, s’échauffe la danseuse, aveuglante sur tapis blanc. Dehors le parc respire comme si lui aussi avait dégagé ses fenêtres. Un pantalon couleur rouille est étendu sur la rambarde du kiosque à musique. Des hommes seuls marchent lentement. Un ruisseau canalisé contourne des amas de mousse. « Va pas dans l’eau, connasse ! » crie soudain une femme accompagnée d’une petite fille. « Viens-là ou je te défonce ! Magne-toi ! » Ah, c’était à l’attention d’une chienne.