mercredi 9 octobre 2019

Vivaces #14

Chaque individu pense qu'il n'y a qu'une personne au monde pour lui, telle est l'injonction selon laquelle il est censé opérer, et je suppose qu'en général ça fonctionne très bien, alors qu'évidemment la vérité c'est qu'il y a beaucoup de gens que vous pourriez trouver des plus charmants, non pas misérablement éparpillés aux quatre coins du globe mais dans chaque rue où vous marchez - et voilà pourquoi il est tristement comique d'entendre ces couples qui évoquent avec émerveillement les successions extraordinaires d'événements hasardeux qui, chose incroyable, les ont rapprochés ; je veux dire qu'ils ne prennent pas en compte le nombre de gens dont ils auraient pu tomber amoureux au même moment, ou avant cela, ou dont ils pourraient tomber amoureux à l'avenir, également. Peut-être est-ce la raison pour laquelle si peu de conversations ont lieu, nous nous efforçons au maximum d'éviter d'atteindre ce point dans nos échanges avec une autre personne, nous nous contentons habituellement d'un bref salut et d'une négociation, et c'est également la raison pour laquelle, si une conversation a effectivement lieu, elle doit être à ce point balisée par la politesse et un art consommé du négoce, par les obliques et les pensées que l'on garde pour soi - précisément pour éviter de connaître un tant soit peu l'autre personne, et donc de tomber inexorablement amoureux.

Adam Thirlwell (in Candide et lubrique)

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… Mais avant je vais te dire quelque chose, parce que je ne peux pas vivre les trente prochaines années en gardant ça pour moi : écoute, même si ça a l’air ridicule et triste, la vérité c’est que je suis toujours amoureux de toi. C’est vraiment une connerie de dire à quarante-neuf ans ce que l’on aurait dû dire à dix-neuf, mais c’est encore plus con de mourir à soixante-dix-neuf ans sans l’avoir jamais dit.

Leonardo Padura (in Le Palmier et l’Étoile)