Ils
s’apparient par peur de la solitude ou d’un manque de crédit social. Ils sont
des naufragés qui ont eu la malchance qu’on repère leur signal de fumée. Ils
sont des inconnus l’un pour l’autre, sans qu’il y entre le moindre soupçon de
délice. Ils détournent les yeux des autres naufragés, moins chanceux
croient-ils – et de fait la plupart de ceux-ci
meurent noyés. Ils vivent noyés. Ils s’agitent, jouent des coudes, ils
attrapent le bon train, croient-ils, n’en sortent que pour sauter dans un
avion. Ils préfèrent la place près du hublot pour limiter la promiscuité ou la
refusent par claustrophobie. Ils n’entendent rien au paysage. Ils aiment la
viande. Ils baisent dans le cynisme. Ils n’ont aucune dignité. Ils sont
désespérants, à se jeter à leurs pieds. Si tu cesses de les haïr, que te
reste-t-il ?
Que
voir, une fois les yeux dessillés ? L’horreur, ou une splendeur
joyeuse ? Peut-on choisir ? Comment vivre ? Le déni du condamné
semble un droit légitime, quand bien même tout le procès serait une farce.
Mentez tant que vous voulez, mais posez-vous la question de ce que vous désirez
encore pour le reste de votre vie. Votre âme enfouie, que voudrait-elle ?
Tu regardes le gris du ciel et le gris de l’océan. Tu ne te souviens plus de la
couleur des yeux de celle que tu aimerais voir à ton côté. Tu es coupable de ce
qui t’est échu en vain, et tu persistes à gâcher du temps. Un jour il faudra
fermer le livre et repartir à
l’aventure. Pour peu que tu aies abandonné tout espoir, ta vie de noyé remontera
peut-être à la surface. Alors il n’y aura plus de mots, juste ta respiration
perdue.