La pelouse blanchie de givre matinal nous apprend que
personne ne l’a foulée ce matin. À midi, toujours personne. Les joggers
respectent les sentiers balisés, les enfants sont gardés à l’intérieur des
habitations, les honnêtes gens ont mieux à faire que de sortir se promener.
Normal, c’est l’hiver. (Vous vous souvenez ?)
On se souviendra que les êtres humains du début du XXIème
siècle préféraient mourir de chaud plutôt que d’éprouver le froid. (S’il reste
encore quelqu’un que cela intéresse.) Ils ne voulaient pas non plus éprouver la
faim, la peur, la solitude, la désorientation ni l’imprévisibilité. Pauvres
d’eux-mêmes ! Ils avaient oublié ce dont ils n’avaient pas l’usage
garanti, ils se gavaient d’obsolescence. (Ce concept daté n’aura bientôt plus
guère de pertinence, annihilé tel le serpent avalant sa propre queue.) Sur la
terre meuble, si tout continue mal, seuls les plus brutaux des humains braveront
les éléments. (Et quelques innocents discrets.) Ils chercheront qui assassiner
de préférence avant de s’entretuer. Ils auront toujours soif. Ils se lèveront dès
l’aube. (S’il reste du ciel.)
Au soir, des gardiens en scooter électrique émettent des
sifflements stridents. Ce n’est pas incompatible, se justifieraient-ils. Ils pourraient tout expliquer quant à l’obsession de
tourner en rond, et en les écoutant on s’efforcerait de ne pas pleurer trop tôt
nos chaudes larmes en réserve. Mais qui es-tu, qu’est-ce que tu
racontes !