Encore quelques mètres avant d’arriver au col, avant que ne s’ouvre devant moi la vallée du versant opposé qui justifierait des heures d’ascension – si tout le chemin parcouru ne se justifiait pas déjà en lui-même. J’oublierai nombre de mes pas, multitude de rencontres infimes, fleurs, insectes, pierres, je retiendrai plus longtemps le souvenir de ce torrent surplombé d’un noisetier, et comme une confirmation à l’échelle d’une vie entière le passage de l’air dans mes poumons, le jeu des muscles de mes jambes, le plaisir des gorgées d’eau réjouissant mes cellules. Je ne conserverai rien de mes pensées, ou si peu, malgré leur clarté avivée, elles auront bénéficié du mouvement constant de mon corps. Tout ce dont je ne me souviendrai pas vaudra pourtant non moins que ce que je retiendrai, cette vue dégagée soudain sur un nouveau cirque de montagnes, oh oui je m’en souviendrai, oh oui je m’y arrête, et je tourne sur moi-même, regarde en arrière d’où je viens, montagnes jumelles elles aussi marquées de la blancheur d’une même neige éternelle, courbes douces et pentes abruptes, végétation exténuée de soleil et rocailles hostiles, ombre mouvante des nuages et je tourne pivot d’un unique monde... Dans cette ivresse, me couchant sur le dos je verrai encore le ciel concave.
mercredi 24 août 2022
lundi 22 août 2022
Aperçus d'altitude - 6
Comme si c’était moi l’intrus, je ne vois pas trace de sabot sur la coulée du glacier mais celles, grossières, d’une théorie de grosses semelles ayant préparé depuis l’hiver dernier le terrain à mes propres pas, intrus attendu, intrus parmi d’autres je progresse tandis que me gifle un souffle glacé telle la mort.
Tombant à quatre pattes, comme tout est plus simple ainsi, je plante mes ongles dans la neige durcie et j’avance en devers. N’était ce sac sur mon dos, appendice monstrueux, chair à tissus bardée d’armatures métalliques, je me sentirais de procéder par bonds sur l’équilibre décroisé de mes antérieurs.
vendredi 19 août 2022
Aperçus d'altitude - 5
mardi 16 août 2022
Aperçus d'altitude - 4
jeudi 11 août 2022
Aparté d'entre aperçus
Redevenir animal, appelle-t-il, présence silencieuse, extrême attention aux sons qui ne proviennent pas de soi mais d’un autre être vivant, curieux, importun, peut-être menaçant. Animal paisible s’entend, qui pour souhaiter l’instinct du prédateur si ce n’est – dans cette vie-ci – celui qui l’est déjà ?
Ainsi j’irais, à moins que redevenir enfant…
Ce n’est pas du tout la même affaire, enfant, le regard neuf posé sur un paysage à l’instant créé, l’esprit fourmillant d’imagination grandiose, la candeur des possibles. A cela se reconnecter.
Ou se projeter dans l’ivresse d’un papillon, la joie d’un chien, l’œil d’un lézard, la gentillesse d’un cheval ? Qu’en faire, qu’en être, que choisir ?
Dépassement de l’humain dans la danse, théorise-t-il, transcendance de la parole dans la sensation, descente de l’esprit dans le corps, ainsi l’animal ; mais il n’en est plus si sûr.
L’homme se dépasse dans l’enfant qu’il fut, de la sorte bouclera sa révolution de planète autour du soleil, un jour, une vie, un bout de chemin, et demain encore on en reparlera. Ou ce sera la fin.