2 mars 2020
Loin c’est bien aussi, on rêve en commun. Quand vous étiez ensemble elle se réveillait toujours avant toi et tu l’aidais à s’endormir. Dorénavant ton décalage s’harmonise avec son fuseau horaire, et parfois tu reçois d’elle un courriel matinal juste au moment où tu allumes ton ordinateur. Cela te réjouit comme une heureuse confirmation, comme la pluie qui cesse à peine t’es-tu mis à l’abri. Tu le lui dis, c’est formidable, c’est extraordinaire, apparemment elle ne s’en lasse pas – ni des coïncidences ni de ton insistance à les souligner. Elle glissait dans ses lettres de petites étoiles rouge profond et dessinait des croissants de lune dans les marges. Tu l’as déjà raconté : un jour il y a dix ans tu as rêvé que tu sortais d’un grenier ajouré où priaient des moines, et aussitôt après Lucia t’a décrit une vision méditative où vous souriiez à l’unisson, au fin fond du Maharastra dans un village de lépreux. Rien qu’une histoire sous le soleil. En quittant la yourte tu as failli planter la voiture dans un champ boueux. La voix de synthèse québécoise cherchait encore son pôle. Tu as beaucoup parlé, à ne pas voir défiler le paysage, dans cette même voiture où des années auparavant vous mettiez cap au sud ou à l’ouest. À l’époque elle s’endormait mieux que dans un lit, bercée par le ronronnement conjugué de tes mots et du moteur. Là non. Le trajet fut plus bref. Il se pourrait aussi que tu l’écoutes avec davantage d’attention.