lundi 8 mars 2021

Rien n'a changé, tout était différent

7 mars 2020

Rien n’a changé, tout était différent. Tout était différent de ce que tu croyais que c’était, un instant auparavant. Car Lucia a retrouvé dans un carton entreposé à la cave des photos de l’époque où vous étiez ensemble. (Il y a aussi cette carte postale que tu reconnais, sur le dessus d’une pile, subrepticement tu lis les quelques mots que ta propre main a tracés quinze ans auparavant, rien à y redire – tu écrivais qu’elle avait changé ta vie pour le meilleur et définitivement.) Comme vous étiez beaux ! Elle, tu le sais, mais toi, quelle surprise ! Tu t’en trouves sidéré tellement tu étais beau. Était-ce l’amour qui te rendait tel ?

Son fils joue à présent avec une sorte de mini-bazooka aux roquettes en mousse, il adore te tirer dessus, pile dans le gras des fesses. C’est la guerre à outrance, tu le poursuis entre les chaises du salon. Tu lui prépares des pâtes, avec un filet d’huile d’olive et un peu de sel, mais il n’a pas très faim. Il préfère essayer son arc et ses flèches à ventouses.

Était-ce l’amour ? Tu te souviens comme tu craignais que Lucia se lasse de toi, tu en étais même terrifié. Tu te jugeais si petit. Tu trouvais si miraculeux qu’elle soit tombée amoureuse de toi – et puis tu détestais ta voix, ce qui ne se voit pas sur les photos. Tu détestais à peu près tout de toi, sauf la relative intelligence qui te donnait la lucidité – croyais-tu – de te détester. Chaque jour accroissait le risque qu’elle s’aperçoive de l’imposture. Et puis, comme prévu, elle a cessé d’être amoureuse. Son fils rit devant la télé : car « Grand Schtroumpf, vous êtes vraiment un grand schtroumpf ! » s’émerveille le Schtroumpf froussard.