mercredi 4 mars 2020

Hybrides #37

L’un des produits injectés dans le sang était un "paralysant" qui rendait la parole impossible, mais ne neutralisait pas la douleur. On ne pouvait pas garantir que l’effet de l’anesthésie se prolongerait jusqu'à l’arrêt du cœur.
Il arrivait que le condamné souffre beaucoup parce qu’il ne perdait pas connaissance comme prévu, ou qu’il reprenne connaissance pendant le protocole, ce qui était extrêmement douloureux.
La plus longue injection létale "ratée" répertoriée avait duré plusieurs heures durant lesquelles le condamné, souvent conscient, avait hurlé de douleur. On avait su par la suite que les produits n’avaient pas été injectés dans une veine, mais dans les tissus qui l’entouraient.
Le scientifique qui avait développé l’injection létale comme un moyen d’exécution "plus miséricordieux" que le gaz, la pendaison ou la chaise électrique était cité : "Il ne m’a jamais traversé l’esprit que ces produits seraient administrés par de complets abrutis."
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Notre grand-mère avait vu bien assez de lynchages de Noirs et nous avait expliqué pourquoi ils choisissent un pont : comme l’arbre, le pont représente la croix du Christ. Et pendre des gens au-dessus de l’eau est aussi un symbole – on utilise de l’eau pour les baptêmes et le pont signifie le rite de passage vers la mort. (…)
J’entendais encore grand-mère dire avec sa vieille façon de parler : le passage vers leur salut à eux, le rituel du meurtre.
Elle voulait dire un lieu où le mal et le péché n’existent plus, car ceux-ci sont incarnés par la victime que Dieu a créée sous la forme de ce coupable-né que Ses sujets blancs doivent punir.
Dans leur tête, disait grand-mère, ils font la volonté de Dieu en éteignant une vie au-dessus de Son eau pure. C’est ça qu’ils pensent, les Blancs du Sud, que Dieu leur a donné le droit de nous assassiner.

(…) Ils attachent les mains de la femme derrière son dos et lui passent une corde autour du cou.
Le cou de la non-humaine.
Debout, immobile, elle est assez proche de nous pour que nous distinguions son regard fixe, presque serein. Mais pas assez pour que nous puissions savoir si elle est en proie à une peur atroce ou si elle a atteint la résignation du nègre : un état imperméable au mal physique et à l’outrage à la dignité. Tout nègre connaît cet état, avant même que vienne son tour d’en faire l’expérience. Il l’a hérité des nègres qui l’ont précédé. On le connaît en rêve avant même de l’éprouver, l’état de nègre.
En regardant vers l’arrière, nous voyons les Blancs d’assez près pour discerner une chose qu’ils ont en commun. Elle s’étale comme un grand coup de pinceau sur toute la largeur d’une toile. Et n’efface pas leur expression, non. C’est le portrait de l’Indifférence. L’indifférence totale à la douleur nègre, les cœurs vides de toute compassion. Nous pouvons même voir de la joie sur leurs visages. (…) Des sourires aussi larges que la rivière au-dessous d’eux et qui, pourtant, ne montent jamais jusqu’au regard.
PENDEZ LA-A-A SALO-O-PE DE NEGRESSE !


Joyce Carol Oates (in Une histoire de martyrs américains)
& Alan Duff (in Un père pour mes rêves)