L’un
des produits injectés dans le sang était un "paralysant" qui
rendait la parole impossible, mais ne neutralisait pas la douleur. On ne
pouvait pas garantir que l’effet de l’anesthésie se prolongerait jusqu'à l’arrêt du
cœur.
Il
arrivait que le condamné souffre beaucoup parce qu’il ne perdait pas
connaissance comme prévu, ou qu’il reprenne connaissance pendant le protocole,
ce qui était extrêmement douloureux.
La
plus longue injection létale "ratée" répertoriée avait duré
plusieurs heures durant lesquelles le condamné, souvent conscient, avait hurlé
de douleur. On avait su par la suite que les produits n’avaient pas été
injectés dans une veine, mais dans les tissus qui l’entouraient.
Le
scientifique qui avait développé l’injection létale comme un moyen d’exécution "plus miséricordieux" que le gaz, la pendaison ou la chaise
électrique était cité : "Il ne m’a jamais traversé l’esprit que ces
produits seraient administrés par de complets abrutis."
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Notre
grand-mère avait vu bien assez de lynchages de Noirs et nous avait expliqué
pourquoi ils choisissent un pont : comme l’arbre, le pont représente la
croix du Christ. Et pendre des gens au-dessus de l’eau est aussi un symbole –
on utilise de l’eau pour les baptêmes et le pont signifie le rite de passage
vers la mort. (…)
J’entendais
encore grand-mère dire avec sa vieille façon de parler : le passage vers
leur salut à eux, le rituel du meurtre.
Elle
voulait dire un lieu où le mal et le péché n’existent plus, car ceux-ci sont
incarnés par la victime que Dieu a créée sous la forme de ce coupable-né que Ses
sujets blancs doivent punir.
Dans
leur tête, disait grand-mère, ils font la volonté de Dieu en éteignant une vie
au-dessus de Son eau pure. C’est ça qu’ils pensent, les Blancs du Sud, que Dieu
leur a donné le droit de nous assassiner.
(…)
Ils attachent les mains de la femme derrière son dos et lui passent une corde
autour du cou.
Le
cou de la non-humaine.
Debout,
immobile, elle est assez proche de nous pour que nous distinguions son regard
fixe, presque serein. Mais pas assez pour que nous puissions savoir si elle est
en proie à une peur atroce ou si elle a atteint la résignation du nègre :
un état imperméable au mal physique et à l’outrage à la dignité. Tout nègre
connaît cet état, avant même que vienne son tour d’en faire l’expérience. Il l’a
hérité des nègres qui l’ont précédé. On le connaît en rêve avant même de l’éprouver,
l’état de nègre.
En
regardant vers l’arrière, nous voyons les Blancs d’assez près pour discerner
une chose qu’ils ont en commun. Elle s’étale comme un grand coup de pinceau sur
toute la largeur d’une toile. Et n’efface pas leur expression, non. C’est le
portrait de l’Indifférence. L’indifférence totale à la douleur nègre, les cœurs
vides de toute compassion. Nous pouvons même voir de la joie sur leurs visages.
(…) Des sourires aussi larges que la rivière au-dessous d’eux et qui,
pourtant, ne montent jamais jusqu’au regard.
PENDEZ
LA-A-A SALO-O-PE DE NEGRESSE !
Joyce Carol Oates (in Une
histoire de martyrs américains)
& Alan
Duff (in Un père pour mes rêves)