dimanche 10 mars 2019

10 mars


                S’il est quelqu’un qu’on ne voit pas, c’est Binh-Dû. Il se réveille dans une chambre inconnue, aucune idée de l’heure. Personne pour lui dire bonjour ou lui proposer une tartine, rien que des miettes et des traces de confiture sur la table au rez-de-chaussée. Dans le jardin, un cheval relève la tête et fonce sur lui, mais en fait non : juste à côté, à le heurter de l’épaule au passage, comme par inadvertance. Puis il recommence à brouter. Binh-Dû ne survivrait pas longtemps à sucer des marguerites et s’abreuver aux rivières. Mais qui le lui demande ?
                Alma s’avise la première de leur naïveté : le monde vu d’en haut présente encore moins d’issue. Seulement la perspective de devoir redescendre. Corpus s’assied sur le parapet, il esquisse un demi-sourire. Que voit-il ? Des milliers de silhouettes vont et viennent, empressées, régulières, incompréhensibles. Elles sont toutes petites. Corpus les observe comme s’il éprouvait pour elles de l’amour. Alma s’imagine habitant une maison de pierre aux meubles de bois, avec un beau jardin. Mais elle sait aussi qu’il suffit de peu pour que le paradis se renverse en enfer.