S’il est
quelqu’un qu’on ne voit pas, c’est Binh-Dû. Il se réveille dans une chambre
inconnue, aucune idée de l’heure. Personne pour lui dire bonjour ou lui
proposer une tartine, rien que des miettes et des traces de confiture sur la
table au rez-de-chaussée. Dans le jardin, un cheval relève la tête et fonce sur
lui, mais en fait non : juste à côté, à le heurter de l’épaule au passage,
comme par inadvertance. Puis il recommence à brouter. Binh-Dû ne survivrait pas
longtemps à sucer des marguerites et s’abreuver aux rivières. Mais qui le lui
demande ?
Alma
s’avise la première de leur naïveté : le monde vu d’en haut présente encore moins
d’issue. Seulement la perspective de devoir redescendre. Corpus s’assied sur le
parapet, il esquisse un demi-sourire. Que voit-il ? Des milliers de silhouettes
vont et viennent, empressées, régulières, incompréhensibles. Elles sont toutes
petites. Corpus les observe comme s’il éprouvait pour elles de l’amour. Alma s’imagine
habitant une maison de pierre aux meubles de bois, avec un beau jardin. Mais elle
sait aussi qu’il suffit de peu pour que le paradis se renverse en enfer.