Alma se
soucie de savoir qui elle est, Corpus s’inquiète de savoir où. Les mers ont
beau occuper sept dixièmes de la superficie terrestre, à moins d’être un
poisson (ou un mammifère géant, ou un animalcule) on n’y fait que passer. Ils
sont arrivés sur un nouveau continent, surpeuplé d’humains blanchâtres dont ils
ne comprennent ni la langue ni les comportements. La plupart ne leur prêtent
pas même attention, pressés comme ils sont. Peut-être, si Alma et Corpus
parvenaient à se frayer un chemin dans la foule et à s’éloigner du rivage,
seraient-ils moins bousculés, trouveraient-ils un lieu où réfléchir calmement à
la suite du voyage.
Alma
sait qu’elle n’a pas rencontré Corpus par hasard, elle sait qu’elle lui permet
de vivre par procuration ce à quoi lui seul n’aurait pas accès – et que la réciproque est tout aussi vraie : sans lui pour la tirer par le bras, sans sa colère
croissante, elle aurait fini par être piétinée. Mais elle ignore si l’un de ces
citadins exsangues est susceptible de la voir et de lui permettre à elle de le
distinguer d’entre tous, est-ce une question d’insistance ? Est-ce une
autorisation à se donner ? Corpus l’entraîne dans une ruelle en forte
pente. De chaque côté les maisons semblent abandonnées, le sol est
grossièrement pavé. En haut, on y verra plus clair.