24 septembre
Elles se sont partagé trois lignes pour se mettre dans l’ambiance, elles ont rejoint les autres à l’entrée de la boîte. Du moment qu’ils ne venaient pas chez elle, Charlotte était d’accord – elle est de plus en plus coulante ou c’est une impression ? Ils ont squatté une banquette, commandé du champagne, sorti les cadeaux, elle a remercié en hurlant pour se faire entendre par-dessus le gros son. Elle a commencé à se sentir bien, la corde du pendu qui se dénouait dans son ventre. L’année précédente ils s’étaient réunis pour lui offrir un aller-retour à Corfou, ça l’avait dévastée, et pourtant Tonio était encore vivant. On aurait cru qu’il allait être vivant encore toute sa vie (à elle, à lui, elle ne sait plus trop comment elle pense, s’il y a une logique ?). Elle y était allée seule, elle avait refusé toutes les avances des allochtones occidentaux, elle avait regardé l’océan. Les cadeaux collectifs, non merci ! Là elle a envie de pleurer, et de rire aussi, et de danser. Elle embrasse un type qui la colle depuis qu’il l’a repérée, elle aime sa façon de bouger. Il lui dit à l’oreille qu’elle est sexy, et d’autres trucs à propos des filles perchées sur les cubes, elle n’entend pas, elle s’en fout. Elle a acheté deux taz bicolores dans les toilettes, le deuxième elle l’a calé sous sa langue pour le refiler au garçon, elle ne le retrouve pas, elle en trouve un autre. Il lui renverse sa bouteille d’eau sur les seins, elle le gifle et elle rit, elle se trouve belle dans la lumière noire et les danseurs fluo semblent flotter à quelques centimètres au-dessus du sol. Lucie vient la rejoindre, sa bouche exhale une aigreur citronnée mais c’est bon, comme un petit nuage, une brume du matin, elle est sourde, elle a des oreilles dans le ventre, là ça y est, c’est la satisfaction. Jusqu’au bout de la nuit, au bout de la vie, et le reste on s’en fout. Elle se réveille dans un canapé, le jour décline derrière des volets à demi tirés, elle se souvient d’une éternité de petits matins frissonnants.