30 septembre
Sa photo préférée parmi les 292 qu’elle fait défiler sur son ordi, elle l’a prise en janvier dans un parc, elle s’était allongée sur une butte, la tête vers le bas de la pente, et elle avait cadré en contre-plongée un chêne aux branches dépouillées à l’instant où passait un cumulo-nimbus qui faisait comme un feuillage en coton aux dimensions parfaites, chargé de toute la luminosité du soleil. Elle était frigorifiée, elle se souvient, la terre dans son dos était glacée malgré la doudoune, et le soleil aussi était froid, elle se souvient des panaches de buée qui s’échappaient de sa bouche, quand elle s’était remise à l’endroit elle avait pensé qu’elle pourrait elle-même souffler avec sa bouche tout un feuillage, qu’avait-elle pris ce jour-là ? C’était sa période kétamine.
De toutes ses photos celle-ci donc est sa préférée, et même en comptant les photos de Tonio. Lesquelles sont pour certaines très réussies mais elles ont quelque chose d’éteint, Charlotte ne saurait dire en quoi, est-ce le support qui vieillit, ou Tonio qui pourrit dans sa caisse ? Son arbre-nuage, Charlotte en est pleinement satisfaite, ce qui ne lui arrive pas souvent. C’est le portrait-chinois du meilleur de moi, analyse-t-elle sans être sûre de ce qu’elle veut dire. Si j’étais un arbre, je serais ce chêne en hiver, et si j’étais un nuage je serais ce cumulo-nimbus d’une blancheur presque aveuglante ? Elle se lève pour fermer les rideaux, l’automne sur le mur d’en face éblouit ses rétines.