mardi 17 novembre 2020

Tu hurles dans ta cour

17 septembre

« Moins fort la radio ! » crie Binh-Dû dans sa cour intérieure en direction du chantier de construction mitoyen, les mains en porte-voix. Et il ajoute « Merci ! » d’avance, qu’on ne vienne pas le tabasser à coups de barre à mines – on ne sait jamais, il y a des limites à l’héroïsme. Parfois la radio est moins forte que les marteaux-piqueurs, lesquels sont assourdissants. Parfois la radio est encore plus pénible que la radio ou que les marteaux-piqueurs parce qu’elle déverse des flots de publicité insane. Tu hurles dans ta cour mais c’est peut-être un autre message que tu voudrais envoyer vers le ciel et celle qui ne veut plus t’écouter, « Plus fort l’amour ! » Un peu plus de courage et d’ambition, assez de ces murs d’inconscience qui lui font refuser les moments de bonheur comme s’ils étaient de la culpabilité en barre. Dans la supérette du quartier il n’y a que de la nourriture écœurante, Binh-Dû erre entre les rayons, il ne voit plus rien. Il plaque les mains sur ses oreilles tant il sent monter sa peine. « Je m’en vais car la publicité à la radio c’est insupportable », informe-t-il le gérant et sa caissière. Comme ils le regardent interloqués (sans doute déjà zombifiés par une surdose de ce qu’ils infligent à leurs clients), Binh-Dû répète « Insupportable ! », et il sort du magasin d’un pas vivement héroïque. Tout en se demandant si ce type de saillies ne marque pas son entrée dans une vieillesse grincheuse et pathétique. Tu protestes contre un désagrément mais c’est peut-être une plus grande plainte que tu voudrais émettre, « C’est insupportable qu’elle ne veuille pas de mon amour ! » Et pourtant il faut t’y résoudre, le désamour est un rêve à vivre en état non moins éveillé que l’amour.