6 octobre
Il n’y pas de colère dans ses photos, jamais. Ses photos pourraient se définir par tout ce qui en est absent. Tonio, lui, faisait de la politique. Il aimait photographier les graffs, les tags, le béton suintant, les plaques de métal plus ou moins rouillées. Et les gens donc, les gueules qu’ils avaient, plus ils étaient fracassés plus il les admirait. Il aimait photographier la ville, à hauteur de la ville, tandis que Charlotte porte son regard au-dessus. Comme quelqu’un qui suffoque ? Pourtant la ville, elle y vit depuis toujours, contrairement à Tonio qui n’y revenait que de temps en temps. Il a aussi photographié sa campagne, pas de quoi en faire une catégorie à part. Il y cherchait la même chose qu’en ville, des traces de dégradation. Ou des matières, c’était là peut-être son espace d’espérance, trouver dans une mare l’immersion, dans un arbre le chatoiement, dans un paysage ouvert le cadre qui d’une certaine façon le dénaturerait. Il aimait photographier la mousse sur les arbres et les pierres, de très près. Il préférait photographier de près, de sorte qu’on ne voie pas ce qu’on voyait. Charlotte photographie son propre appel, une échappée. Elle se défie de sa colère, elle n’a rien à raconter ; elle s’y refuse parce que si elle commençait ce serait cataclysmique. Sa vie n’est pas un roman mais une exposition, une phase annonciatrice perpétuelle, rien ne lui arrivera. Tonio c’était différent, et d’ailleurs il est mort. Elle pourrait écrire le roman de Tonio, même s’il lui faudrait beaucoup inventer. Combler les vides. Peut-être, d’ailleurs, trier les photos de Tonio a-t-il constitué une tentative d’écrire sa vie – de reconstituer ce qui pouvait l’être. Mais à quelle fin, et pour qui ? Pas pour elle, Charlotte n’en a pas besoin. Elle a juste besoin…