16 octobre
Elle pensait qu’elle pourrait, elle n’a pas pu. Quand la main de l’homme s’est posée sur son épaule elle s’est dégagée violemment et elle est partie. Cela lui descendait jusque dans l’estomac, une nausée, et pourtant elle n’avait rien avalé avant de retourner au Vestalia, peut-être aurait-elle dû. Elle n’avait rien pris pour se donner du courage, elle s’était dit que ce serait un aveu de faiblesse et elle ne voulait pas se faire cet aveu, c’eût été reconnaître que ce qui s’était passé la fois précédente aurait des répercussions, et la voici dans une de ces rues froides et vides du VIIIème arrondissement, à onze heures un soir de semaine, maquillée comme une femme sûre d’elle et conquérante. Elle marche d’un pas vif pour que cessent les tremblements. Personne à appeler, les noms défilent pourtant sur son répertoire. Est-ce cette vie-là qui lui est réservée, et depuis quand, à quel moment tout ce gâchis s’est-il mis en place ? Pas à la mort de Tonio, l’excuse serait trop commode. Ni dans son enfance, qui fut moins malheureuse que d’autres. Est-ce elle qui serait foncièrement viciée de l’intérieur ? Judith lui a laissé deux messages auxquels elle n’a pas répondu depuis une dizaine de jours, Judith est une fêtarde mais elle est réfléchie, elle lui a offert le petit raton-laveur en plâtre, à cette pensée Charlotte se sent sur le point de pleurer. Elle rappelle. « Viens, on est dans le petit bar de la rue de la Mare ! » Il y a beaucoup de bruit autour, c’est un soir à concert. À trois arrondissements d’ici. Charlotte raccroche, immobile, elle regarde la devanture fermée d’un magasin de fleurs, les voitures qui passent sur les pavés. Une fatigue immense. Sa vie, non, n’est pas un roman mais une succession de scènes d’exposition.