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Elle rêva qu’un homme s’était mis à l’espionner, qui désirait son pauvre vieux corps. Ce rêve était dérangeant, mêmes s’il apportait aussi d’étranges moments de plaisir – et, quand elle se réveillait le matin, elle trouvait des traces de nez et de pattes sur sa vitre, là où un ours noir s’était tenu pour essayer de voir à l’intérieur. Elle ne parla à personne de ce rêve et, toute seule, elle se mit à installer de la nourriture sur la table de jardin qui se trouvait derrière le magasin, elle préparait un décor pour l’ours, comme un enfant organiserait un goûter pour un invité imaginaire. Cela n’avait rien d’imaginaire, cependant, parce que, chaque matin, quand elle allait à sa fenêtre, elle voyait que la nourriture avait disparu, que l’assiette était nettoyée, ce qui fait qu’elle se retrouvait la nuit, éveillée, en train d’attendre l’ours – elle tendait l’oreille pour percevoir le bruit de la tasse et de la soucoupe en porcelaine quand il lapait le lait – mais cet ours était très précautionneux et n’arrivait que lorsqu’il entendait Helen ronfler, si bien qu’elle n’assistait à sa venue que dans ses rêves ; elle se réveillait de plus en plus tôt le matin, dans l’espoir de l’apercevoir, mais en vain ; elle s’émerveillait toutefois de la persistance de l’espoir et du désir, même sous un épiderme aussi ancien que le sien.