7 octobre
Ce qu’il lui faut de manière vitale c’est se maintenir. On en est tous là, à des degrés divers, au biologique et au mental, mais elle c’est différent, tout le monde ne peut pas comprendre. Cela s’organise dans le secret de ses non-dits. Aujourd’hui elle n’a rien pris, pas même un quart de ligne, elle déjeune avec sa mère qui s’en apercevrait immédiatement – du moins qui s’apercevrait de quelque chose. Leur rituel dans un restaurant de cuisine familiale, non loin du magasin de sous-vêtements que sa mère dirige en franchise. D’entrée « Comment vas-tu ma fille ? », mais ce n’est qu’un moment à passer. L’essentiel du repas est consacré au compagnon de la mère de Charlotte, ses mensonges répétés. Charlotte a renoncé à suggérer qu’ils se séparent, elle sent qu’elle n’en a pas le droit et sait que cela ne sert à rien. Au lieu de cela elle écoute, elle acquiesce, elle dit des bouts de phrase comme « Tu as sûrement raison », « On n’en sait rien », « C’est sa logique à lui ». Elle boit de l’eau, quand sa mère a demandé un verre de vin. Au fromage, Charlotte est de nouveau sur la sellette alors elle parle d’un boulot hypothétique mentionné par le père virtuel d’un élève imaginaire à qui elle est supposée donner des cours particuliers… ce qui lui permettrait de payer un loyer normal pour l’appartement, « Ne te soucie pas de ça, lui répond sa mère, de toute façon je préfère que ce soit toi qui l’occupes plutôt que de devoir me coltiner un nouveau psychopathe ». Charlotte n’a pas connu le locataire qui l’a précédée, elle aurait été curieuse de s’en faire une opinion par elle-même, histoire de se situer. Sans l’avoir prémédité elle annonce qu’elle a commencé à trier les photos d’Antoine, et puis elle se tait, quelle idiote, sa mère va se mettre à pleurer. Mais non, la main de sa mère vient serrer la sienne sur la nappe – « J’ai toujours trouvé qu’il avait beaucoup de talent ». En sortant du restaurant, sa mère l’étreint fortement, doudoune sans manches contre tailleur, la regarde dans les yeux, lui sourit – « Prends soin de toi ». Charlotte retourne à l’appartement se coucher et dormir un peu, ce soir elle travaille.