20 octobre
épisode 30
Elle n’a pas de papier journal à disposition, mais
qu’à cela ne tienne : Charlotte nettoie ses vitres. Marre que le ciel se
confonde avec la poussière. Au-dehors, la radio de JC ne s’entend que fenêtre
ouverte, comme assourdie sous des couvertures. Au-dedans ce n’est guère
probant, on voit des reflets aveuglants bordés de traînées grises, Charlotte
aurait dû penser à passer un chiffon sec au préalable. Elle y retourne. Maintenant
c’est l’intérieur de sa chambre qui apparaît poussiéreux. Cela ne fait pas
longtemps qu’elle a fait le ménage, si ? Même pas un mois, c’était juste
après son anniversaire. Elle n’est pas franchement satisfaite du résultat mais
plutôt contente d’elle – une intention en action.
Cesser les photos paresseuses
dans le cadre préexistant de la fenêtre ouverte. Qu’elle ait nettoyé les vitres
n’y change rien mais impulse pourtant quelque chose, elle ne saurait dire quoi.
Pour sa composition d’automne il lui reste encore 53 photos à prendre, ce sera
la plus incohérente, une même saison sur deux années différentes, de nouveaux
angles, l’idée même de composition qui n’était pas présente au départ. Elle ne
fera plus que des photos d’extérieur.
JC est adossé contre le fond de son abri,
la radio sur son giron, il a enroulé ses pieds dans une couverture, « Tu
vas bien JC ?
- On va m’expulser.
- Comment ça ?
- Le vieux flic, celui qui est sympa…
- Eh bien ?
- Il m’a dit que ça n’allait pas traîner, comme quoi
ils avaient reçu des plaintes et la maire veut que je dégage. Ils vont venir
et ils vont m’expulser.
- Mais ils n’ont pas le droit de faire ça !
- Tu rigoles ? De toute façon je voulais partir,
je vais aller dans le Sud il y fait meilleur l’hiver.
- Qu’est-ce que tu racontes : tu es arrivé ici en
plein hiver l’an dernier.
- Justement, j’en ai marre. Prends-moi en photo.
- Mais tout le monde te connaît ici, tu fais partie de
la vie du quartier !
- Dis pas de conneries. Je suis à la rue. Tu m’as
invité à dormir chez toi ?
- Je t’ai proposé de prendre des douches !
- Au cinquième étage, non merci. Prends-moi en photo.
- Pourquoi ?
- Comme ça je pourrai me dire que tu ne m’as pas
oublié. »
JC se lève et prend la pose, Charlotte est accablée,
elle a le sentiment d’être requise pour un cliché funèbre. Elle se tient
toujours accroupie, JC lui sourit, un nuage effiloché joue dans sa tignasse
blanche en contre-plongée. Ils regardent côte à côte la photo qu’elle a prise, On dirait le Christ, s’exclame JC, montre-moi comment ça marche. Elle
devine ce qui va suivre, Tu appuies là.
Elle se tient les bras ballants au milieu du trottoir, JC se recule un peu, Souris, Charlie ! Une voiture
klaxonne à l’horizontale.