15 octobre
Il pleut encore dès le matin, et la radio de JC
déchire le sommeil de Charlotte. D’une certaine façon c’est une consolation.
Pour lui aussi sans doute. Et pour les travailleurs bien réveillés qui se
dirigent vers leur bus ou leur métro ? Les enfants à cartable qui
traînent les pieds ? Dans un monde idéal, il n’aurait pas sa place, mais
eux non plus, et Charlotte pas davantage. Ou bien si, justement : dans un
monde idéal, Charlotte serait un modèle de lucidité et elle se comporterait
d’une tout autre façon. Elle se lèverait avec le soleil chaque matin. Elle
irait s’enquérir de la santé de JC en lui apportant de quoi se sustenter au
sortir d’une nuit paisible et il ne sentirait pas l’alcool à plein nez.
« JC, baisse ta radio, on ne s’entend pas.
- Je t’entends, bordel, et j’emmerde les flics !
- C’est moi JC, c’est Charlotte, je t’ai apporté un café.
- Entre, tu vas te faire saucer ! »
Charlotte se tient penchée sur le seuil de l’antre où
stagnent des remugles mouillés, il n’y a pas de place pour deux, elle
s’accroupit. Elle remarque les plis de chair sur le visage de JC, ses joues, il
a quelque chose de Popeye, et puis ses yeux, les petits vaisseaux sanguins sur
les globes oculaires. Les dents en moins, c’est pour cela qu’il y a du
relâchement au niveau des mâchoires. « Qu’est-ce que tu as à me regarder
comme ça, tu veux ma photo ? » Ça le fait rire mais c’est agressif
aussi, son haleine est chargée. « Tu permets ? Charlotte tourne
le bouton du volume, Je suis venue voir comment tu allais.
- C’est vrai, Mademoiselle n’aime pas la publicité,
Mademoiselle n’écoute pas la radio, perchée dans son château…
- Tu es retourné à l’hôpital pour ton pansement ?
- … Mais la publicité c’est des infos et les infos
c’est de la musique et la musique tu peux pas comprendre.
- JC, m’emmerde pas, montre-moi ton bras.
- Touche-moi pas ! »
Charlotte se recule sur ses talons, elle porte la main
à sa nuque, là où les morsures d’araignée continuent à la démanger, JC d’un
coup lui sourit, « Je vais te montrer ». Il passe un pull puis deux
par-dessus sa tête, écarte d’un geste étonnamment féminin l’échancrure de son
maillot de corps pour révéler le haut de son bras près de l’épaule, où le
bandage a été retiré, Charlotte voit mal, la pluie lui dégouline dans le dos.
Elle devine la crasse, et une boursouflure suintante, « JC, ça va
s’infecter.
- Tu parles, c’est guéri ! Je vais faire une
croûte et après j’aurai une peau de bébé, un petit bébé... Et je le bercerai comme
si c’était ma fille. »
Il a fermé les yeux, il se serre dans ses propres bras
et se balance doucement, Charlotte éternue et se relève. Elle a besoin de
marcher, les genoux ankylosés. La pluie a cessé, les autobus soulèvent des
gerbes près des trottoirs. Elle se sent attentive, d’habitude à cette heure de
la journée elle dort. Un rayon de soleil fait briller les façades et les
carrosseries. Elle cherche une flaque qu’elle pourrait photographier où se
réfléchirait le ciel, une photo prise vers le bas, qui déparerait dans sa
collection, impossible à rapprocher d’aucune autre.