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Quand tu t’es déclaré amoureux, elle a trouvé cela insupportable parce que c’était trop tard, elle avait déjà pris sa décision. Comme tu ne comprenais pas qu’une décision prise la veille ne puisse être supplantée le lendemain par une autre qui lui soit opposée, elle a dû se dire que ton degré de folie était dangereux – et s’en est trouvée confortée. Toi tu te voyais constant : quoi qu’elle décide, tu l’aimais. Mais elle décelait au contraire un manque de fiabilité ; car si les décisions, selon toi, pouvaient se renverser d’un jour sur l’autre, alors comment se sentir en confiance ? À moins que tu ne conçoives les revirements émotionnels que chez les autres, ce qui serait plus fou encore, en plus d’être affreusement condescendant.
Contre toute attente, les élèves de Céline s’emparent avec passion du concept de libre-arbitre. Elle a lancé une discussion ouverte après un bref condensé professoral des raisonnements de Saint-Augustin, Aristote, Spinoza et Nietzsche (en passant vite sur Kant et en leur épargnant Schopenhauer). Gros succès pour Nietzsche, évidemment. C’est trop facile, elle se le reproche, elle devrait bosser davantage son Kant pour contrebalancer. Mais elle est contente de voir de l’enthousiasme sur les visages de ces êtres en devenir qu’elle ne connaît pas bien encore, qu’ils aient compris d’emblée que la philosophie est un débat. Sa vie avec Rémi est une certitude acquise ; quoiqu’elle ignore à quel point elle souhaite qu’il en soit ainsi.