(13/n)
[octobre 2020]
Tu marches dans les rues en tenant un masque en tissu par ses attaches, comme un petit sac à main, non ça ne te donne pas l’air malin. Mais tu as trop besoin de respirer l’air du dehors. Tu ne peux empêcher ton regard de se fixer sur ceux de tes contemporains qui le portent sous le nez, comme s’ils justifiaient plus que toi de faire un détour. Ceux-là, tu ne veux surtout pas les croiser. Les masqués conformes tu les évites aussi, car tu compatis à leur inquiétude. Ainsi tu passes d’un trottoir à l’autre, sur la chaussée tu te glisses entre les voitures garées et celles qui te frôlent. Tu guettes l’apparition d’une patrouille de police, prompt à réagir : au pire, tu gardes dans ta poche un bonbon sucré dont tu pourrais prétendre que justement tu t’apprêtais à le porter à ta bouche – puisque se nourrir en extérieur est encore permis.
Oh, cette pusillanimité à laquelle tu te trouves réduit… Tu as entendu raconter qu’un homme à la rue avait récupéré un masque chirurgical jeté dans une poubelle – pour se protéger d’une éventuelle interpellation. Cela aussi peut se comprendre, si en plus il n’avait pas de papiers en règle... Céline et Rémi ne se posent pas de questions inutiles. Enfin, tu imagines. Ne s’en vantent pas non plus. Quand ils accueillent chez eux des étrangers en détresse, ce n’est pas pour gonfler leur estime de soi ni pour cimenter leur couple. Simplement ils partagent une éthique, dirait Céline, et la mettent en pratique.