(21/n)
Ta pathologie affecte les femmes dans une proportion de 85%, ce qui te laisse perplexe. Aurais-tu trop clamé ton désintérêt envers les univers essentiellement masculins ? Si tu avais effectué ton service militaire, dormirais-tu mieux aujourd’hui ? (Ou bien ne te serais-tu toujours pas remis d’avoir dû ancrer dans ta mémoire des chants de soldats marchant au pas ?)
Dans un regain de vigueur tu repenses à cette idée de la vie qui serait magique, cela te semble bien mollasson. La vie est ce qu’elle est, ni plus ni moins, c’est toi qui es magique. En tout cas tu l’étais, tu t’en souviens, tu as connu cette zone d’être où rien de phénoménologique ne t’était inaccessible, rien d’impossible à ton corps ni à ton esprit – déplacer les montagnes.
Rémi a toujours été beaucoup plus détendu. La raison pour laquelle il jouait du clavier et toi de la guitare. Plus séduisant aussi, parce qu’il ne cherchait pas à l’être. Il profitait de plaire. Il se fichait complètement de devoir être ceci ou cela, C’est reposant, t’a confié Céline un jour, et tu t’es senti visé comme si elle et toi aviez été ensemble. Tu aimes penser qu’à Céline tu ressembles.
***
Et puis voilà : elle regarde par la fenêtre en buvant une tisane, debout, la nuit est tombée depuis un moment. Il y a de l’agitation sur les voies de la gare de triage, des silhouettes qui courent, d’autres qui crient derrière le faisceau de leurs lampes-torches. Ceux qui courent devant sont plus noirs que les autres. Puis plus rien. Céline pose sa tasse et descend éclairer le porche.